À l’heure où les crises s’enchaînent et où l’économie mondiale cherche un nouveau souffle, un vent de contestation souffle depuis le continent africain. Réunis à Lomé lors d’un sommet inédit, les gouvernants, économistes, experts et représentants de la société civile ont porté une voix forte : celle d’un continent qui refuse de continuer à subir les règles d’un ordre financier hérité du passé.
Une architecture héritée, une injustice prolongée
Le système actuel de financement international, forgé dans le contexte d’après-guerre au travers des institutions de Bretton Woods, est aujourd’hui dénoncé comme obsolète, inégalitaire, et structurellement défavorable aux pays africains. Malgré les discours sur le développement, la réalité des chiffres parle d’elle-même : près de 60 % des pays africains sont aujourd’hui en situation de surendettement ou à haut risque de l’être, selon la Banque mondiale.
À Lomé, les critiques se sont concentrées sur les conditions d’emprunt drastiques, les notations financières défavorables dictées par des agences occidentales, et le manque d’accès équitable aux financements concessionnels. Pour de nombreux pays africains, emprunter sur les marchés internationaux revient à signer des contrats à des taux deux à trois fois supérieurs à ceux obtenus par les pays du Nord un écart qui entretient une spirale de dépendance et de vulnérabilité.
« Nous ne réclamons pas la charité, mais l’équité »
Le président du conseil des ministres togolais Faure Gnassingbé, hôte du sommet, a martelé un message sans ambiguïté : « Il ne s’agit pas de quémander, mais de reconstruire un système plus juste, qui tienne compte des réalités africaines. » Ce cri partagé par ses homologues reflète une prise de conscience continentale, mais aussi un appel à la responsabilité des institutions internationales.
Dans les rangs des délégations, plusieurs propositions ont émergé : création d’une agence africaine de notation, mobilisation interne des ressources fiscales, renforcement de la Banque africaine de développement comme acteur pivot, mais aussi redistribution plus équitable des Droits de tirage spéciaux (DTS) du FMI.
Le poids du passé, les défis du présent
Au-delà des chiffres, c’est la dimension symbolique de cette bataille qui a imprégné les discours : celle d’un continent encore prisonnier d’une architecture économique mondiale héritée de la colonisation, où les règles n’ont pas été pensées pour ses réalités, et encore moins par lui.
« Comment parler de développement quand chaque dollar de dette contractée coûte trois fois plus qu’ailleurs ? », s’interroge-t-on. Une question qui renvoie à la racine du problème : un déséquilibre structurel dans la gouvernance économique mondiale, maintenu par des rapports de forces historiques.
Un tournant ou un cri dans le désert ?
Reste à savoir si l’appel de Lomé trouvera un écho au-delà des frontières africaines. Si la volonté de réforme semble de plus en plus partagée, notamment dans certains cercles européens et au sein de l’ONU, les blocages politiques, les inerties institutionnelles et les intérêts divergents freinent toute refonte en profondeur.
Mais le sommet de Lomé pourrait bien marquer un tournant symbolique. Car jamais jusqu’ici, le langage de la souveraineté financière n’avait été aussi clairement assumé, et la quête de dignité économique aussi puissamment exprimée.
Darly NGUEMA – Analyste financier junior