Le choix du régime de change est l’un des facteurs clés expliquant les crises financières qui ont secoué le monde en général, et l’Afrique en particulier depuis la seconde moitié du 20ème siècle. Depuis la fin de la convertibilité du dollar américain en or marquant ainsi l’effondrement du système monétaire international de Bretton Woods en 1971 et l’apparition du régime de change flottant en 1973, jusqu’à l’émergence d’un monde en polycrise et l’élargissement du BRICS aux nouveaux membres, les débats sur le régime optimal n’ont cessé de diviser les économistes.
La crise de la dette latino-américaine des années 1980 qui a touché le Mexique, le Brésil et l’Argentine et tensions hyper-inflationnistes qui ont marqué cette période ont poussé ces pays à opter pour des régimes de change fixe voire ultra-fixe. L’Argentine à titre d’exemple a décidé d’adopter en 1991 un traitement de choc donc la principale mesure était l’instauration d’un Currency board qui a permis de réduire les taux d’inflation de +1000 % à moins de 10% en quelques mois.
En 1994, la crise de dévaluation du peso mexicain a éclaté, suivie en 1997 de l’effondrement des monnaies asiatiques notamment le baht thaïlandais et de la crise de dévaluation du real brésilien en 1998. Cette dernière était parmi les causes du déclenchement de la crise argentine qui a été soldée par l’abandon du Currency board en 2001 et l’adoption d’un flottement dirigé en 2002. En 2023, Le peso argentin a perdu 50% de sa valeur et le taux d’inflation a atteint 211% et risque de dépasser 250% en 2024. La livre turque traverse également depuis la tentative du coup d’Etat de 2016 une dépréciation rapide face au dollar américain causées par des tensions politiques, les conséquences de politiques monétaires interventionnistes et la vulnérabilité du système financier. Elle a perdu face au dollar américain environ 40% sur les douze derniers mois et l’inflation a dépassé les 80% en 2022 pour se stabiliser autour de 60% en 2023.
Les pays africains ont été touchés également par les crises de change et ont eu droit à plusieurs recommandations. Les plus récentes concernent d’une part la migration vers l’adoption d’un flottement pur et d’autre part l’instauration d’une union monétaire ou la substitution de l’ancrage externe par un ancrage interne des unions monétaires.
Les crises financières n’ont épargné aucun type de régimes de change en Afrique que ça soit le flottement pur, les régimes intermédiaires et les régimes ultra fixe.
En 1986 puis en 2016-17, le naira nigérian a subi une dépréciation massive respectivement à cause de l’adoption de son programme d’ajustement structurel et de la chute des courts sur le marché pétrolier de 2014 à 2017. Le régime de change instauré au Nigeria est le flottement dirigé.
Le franc CFA, deux monnaies uniques instaurées au sein de l’UEOMA et de la CEMAC ont subi en 1994 une dévaluation de 50% face à l’euro, leur monnaie d’ancrage.
L’Afrique du Sud qui a instauré un flottement pur a subi également de graves crises de change en 1998 et 2020 à cause d’un resserrement brutal (soudden stop) provoquant ainsi une forte dépréciation du rand sud-africain.
Le dollar du Zimbabwe et le kwanza angolais se sont effondré respectivement en 2008 – 2009 et 2014- 2017. Une dollarisation de facto s’est ainsi imposée en Zimbabwe à cause des tensions hyper-inflationniste et un flottement dirigé a été instauré en Angola.
La livre égyptienne et le dinar tunisien ont également été confrontés de graves problèmes de dépréciation et d’inflation suite au passage d’un régime de changes intermédiaires à un régime de change flottant sur recommandation du FMI respectivement 2016 et 2014.
De façon générales, nous pourrions résumer les principale causes de ces crises de change en Afrique en :
- L’instabilité politique ;
- Les mauvaises gouvernance économique et climat des affaires ;
- Le manque de discipline budgétaire et l’insoutenabilité de la dette publique ;
La consolidation de la stabilité politique, de la diversification économique, de la discipline monétaire et l’adoption d’une gestion proactive des finances publiques s’imposent quelques soit le régime de change instauré.
Le choix du régime de change constitue depuis longtemps un sujet de débat entre les économistes et plusieurs écoles y contribuent. Et si l’école des cycles réels considère que les performances économiques ne sont pas affectées par le régime de change, un deuxième courant considère le taux de change flexible comme un absorbeur de chocs réels tandis qu’une troisième école considère le régime de change fixe comme un gage de crédibilité. Une quatrième approche remet en cause les régimes de changes intermédiaires dans un contexte d’ouverture financière internationale et opte pour l’adoption de l’une des deux « solutions en coin ». Une autre école affirme que le choix du régime de change varie en fonction des conditions, des politiques et des objectifs économiques de chaque pays.
Depuis covid’19, le monde a changé. Entre un monde incertain en « polycrise » (crises simultanées et entrelacées d’ordre géopolitique (des guerres militaires), géoéconomique (guerres économiques et des monnaies), financière, migratoire et sanitaire), une révolution industrielle 4.0 basée sur des technologies en perpétuelle mutation (en termes du numérique, plateforme, big data et intelligence artificielle) et des générations qualifiées « Y, Z et Alpha » à caractères différents mais toutes très voire hyperconnectées, familiarisées avec les nouvelles technologies, le choix de régime de change ne peut rester indifférents face à l’émergence de nouveaux défis au niveau international et continental. Cette conviction est en cours plus forte en Afrique à cause de l’émergence des Monnaies numériques des banques centrales (CBDC), des Cryptomonnaies, de la double transition énergétique et numérique et de la forte dépendance aux matières premières, de l’intégration régionale accrue (notamment ZLECAf), de la vulnérabilité climatique, de l’influence croissante de la Chine et du yuan, de l’innovations financières et FinTech et enfin de la dépendance accrue aux marchés financiers mondiaux.
Par Pr JEDLANE Nabil
Professeur de l’enseignement supérieur en Sciences économiques à l’ENCG Tanger – Université Abdelmalek Essaâdi.
Directeur de Laboratoire de recherche « Management, Économie, Système d’information et Droit (LAMESID) » à l’ENCG Tanger
Président du conseil scientifique et vice-président de l’African Finance Network (AFN)