Aujourd’hui, l’on note de plus en plus la présence des obligations labellisées « vertes, sociales et durables » sur les places boursières africaines, particulièrement à la BRVM avec les GSS Bonds émis récemment par la BIDC de la CEDEAO et l’institution de microfinance sénégalaise Baobab. Qu’est-ce qui explique cet engouement ?
L’engouement pour les instruments de la finance durable répond à l’impérieuse nécessité d’assurer un développement harmonieux de nos économies face aux effets néfastes du changement climatique, cela en vue d’assurer :
· la préservation de l’environnement, avec comme préoccupation la protection de la vie humaine, de la diversité et de la reproduction des espèces ainsi que des écosystèmes naturels terrestres et marins ;
· l’efficacité économique grâce à une gestion optimale des ressources naturelles et financières.
· l’équité sociale pour la satisfaction des besoins essentiels des communautés humaines dans le présent et le futur, aussi bien au niveau local que global avec pour but ultime l’amélioration de la qualité de vie.
Ainsi, il apparaît urgent de lever davantage de ressources pour atténuer les effets négatifs du changement climatique induits par les actions de développement, de favoriser l’intérêt de la collectivité sur le long terme, de financer des projets destinés à lutter contre l’exclusion et à améliorer la cohésion sociale dans toutes les communautés, de financer prioritairement les projets qui intègrent les critères Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance (ESG).
Qu’est-ce qui distingue les GSS Bonds des obligations classiques en termes de valeurs ajoutées et d’opportunité pour les émetteurs et pour le marché ?
Le GSS Bond respecte le même schéma financier qu’une obligation classique. Toutefois, le GSS Bond s’accompagne d’un « reporting » détaillé qui permet aux investisseurs de s’assurer de la bonne affectation des fonds levés à l’occasion de l’émission, au profit d’investissements ou de dépenses favorables à l’environnement, tel qu’initialement défini.
En outre, les GSS Bonds sont émis à des taux relativement plus bas que ceux des obligations classiques. Cela allège le service de la dette pour l’émetteur et implique pour les investisseurs de se donner les moyens pour être des « investisseurs d’impact », sensibles au greenium.
Par ailleurs, le marché des obligations vertes a évolué significativement au cours des deux dernières décennies. Cela reflète l’appétit des investisseurs institutionnels, qui, de façon globale, sont de plus en plus attirés vers la finance durable, autrement dit, des projets d’investissement intégrant les critères ESG. Les obligations vertes représentent une opportunité de financement pour les pays émergents, car ils ont ainsi la possibilité d’attirer un nouveau type d’investisseurs, qui autrement ne se serait pas intéressés à leurs émissions obligataires
Ainsi, à mesure que tous les acteurs jouent le jeu, les instruments de la finance durable permettent au marché de jouer davantage son rôle à travers une mobilisation accrue des ressources pour un meilleur financement des économies.
Quelles sont les initiatives entreprises par la BRVM afin de développer davantage les GSS Bonds sur la place boursière de l’UEMOA ?
Les ambitions de la BRVM, en matière de finance durable, s’inscrivent dans un contexte marqué par quatre (4) facteurs majeurs, à savoir :
· la vulnérabilité des économies de notre Union face aux effets négatifs du changement climatique ;
· l’engagement pris par les bourses africaines lors de la COP 22 pour accompagner les Etats dans le financement des secteurs publics et privés pour l’atteinte des Objectifs de Développement Durable ;
· la mise en place par l’AMF-UMOA du cadre réglementaire relatif aux émissions des obligations vertes, sociales et durables ;
· la nécessité pour la BRVM d’approfondir et de diversifier davantage son marché obligataire.
Ainsi, la BRVM a signé, en septembre 2022, un protocole d’accord de coopération avec la Bourse de Luxembourg, compte tenu du positionnement de cette bourse en qualité de leader mondial dans la cotation des obligations vertes sociales et durables. Ce MoU vise essentiellement le développement de la finance durable dans l’UEMOA, la cotation croisée sur les deux bourses des obligations vertes, sociales et durables émises sur le Marché Financier Régional et la mise en place de programmes de formation sur la finance durable destinés aux intervenants du marché.
La BRVM a également signé un MoU avec le Global Green Growth Institute (GGGI) pour le renforcement de capacités des acteurs du Marché Financier Régional et la mise en œuvre du « BRVM Bond Accelerator Program », qui consiste à la structuration des projets en lien avec la finance durable en vue de futures émissions sur le marché.
La BRVM s’attèle à poursuivre efficacement ses différents chantiers pour l’essor de la finance durable au sein de l’UEMOA.
Quelle lecture faites-vous de la situation des marchés boursiers africains en termes d’intégration. Est-ce qu’ils sont bien développés ?
L’un des défis les plus importants pour nos bourses est leur trop grande fragmentation. La solution identifiée à cet effet est l’intégration et non la fusion.
Les avantages de l’intégration des marchés de capitaux sont multiples et tiennent essentiellement à l’accès à un marché plus large pour les émetteurs et les investisseurs, l’amélioration de la liquidité des bourses et la facilitation de la circulation des capitaux entre les pays.
Quelques risques sont identifiés, mais ils peuvent être mitigés aisément. Il s’agit des effets de contagion multiple et rapide du risque systémique, des difficultés de contrôle et des supervisions des activités transfrontalières et enfin des risques d’arbitrage en l’absence d’une monnaie unique.
Plusieurs projets d’intégration ont vu le jour sur le continent. Le plus vaste, en matière de champ d’action, est le projet d’interconnexion des bourses au niveau continental (AELP).
Le projet AELP (African Exchanges Linkage Project), avec les 7 bourses pilotes – BRVM, Bourse de Casablanca, Johannesburg Stock Exchange, Nairobi Securities Exchange, The Nigerian Stock Exchange, Stock Exchange of Mauritius, The Egyptian Exchange –a été financé par la Banque Africaine de Développement (BAD) et un Fonds Coréen (KOAFEC), sous la houlette de l’Association des Bourses Africaines (ASEA). Cet ensemble forme un espace d’une capitalisation boursière d’environ 1500 milliards USD, soit 75 % de la capitalisation de toutes les bourses africaines, avec plus de 900 sociétés cotées.
L’AELP a été lancé à Abidjan avec succès en décembre 2022. Ce projet constitue le début de la création d’une bourse panafricaine susceptible d’être compétitive et comparable aux marchés boursiers existant sur les autres continents.
Il vient par ailleurs compléter utilement les grands chantiers d’intégration de l’Afrique notamment la ZLECAF et le système panafricain de paiement et de règlement (panafricain payment and settlement system-PAPSS).
Propos recueillis par Dr Abdou DIAW