Au Sénégal, les fonds d’investissement gagnent du terrain. D’année en année, le secteur fait preuve de dynamisme. À côté, une profondeur limitée du marché est constatée. Cette difficulté est à juguler par des réformes qui garantiraient la croissance des entreprises, selon les spécialistes Sidy Niang et Cheikh Dieng. Le marché sénégalais des fonds d’investissement a connu une évolution notable au cours des quatre dernières années. C’est l’avis tranché de Sidy Niang. Fondateur et Managing Partner d’Icone Capital, société de conseil en investissement en Afrique, il considère que 60% des transactions réalisées entre 2012 et 2024 (58 transactions) l’ont été entre 2021 et 2024 (35 opérations). Ce dynamisme, explique le spécialiste, provient principalement du capital-risque (les investissement dans les startups) qui ont représenté environ deux tiers des opérations recensées au Sénégal entre 2022 et le premier semestre 2024.
Ce qui lui fait dire que le Sénégal est le premier pays en nombre de transactions en Afrique francophone entre 2022 et 2024. D’après lui, cette performance traduit la confiance des investisseurs dans la stabilité du pays et dans la qualité de son tissu entrepreneurial. « Pour autant, le potentiel d’investissement au Sénégal est élevé, les opportunités véritablement « investissables » restent limitées. La profondeur du marché sénégalais (qu’il s’agisse du Private Equity, Private Debt, Infrastructure, Venture Capital et Immobilier) dépend moins de la disponibilité du capital (13,5 milliards de dollars ont été levés par des fonds panafricains depuis 2020) que de la capacité à transformer les entreprises locales en cibles prêtes à accueillir un investisseur », met-il en exergue. Ainsi, il estime que l’enjeu principal n’est pas la disponibilité du capital mais la préparation des entreprises à la levée de fonds ou à la cession et la structuration des transactions. De son côté, Cheikh Dieng, Investment Officer, pense que le marché des fonds d’investissement au Sénégal se trouve à un stade de maturation progressive, porté par un intérêt croissant des investisseurs locaux, régionaux et internationaux.
Ces dernières années, selon lui, le pays a engagé d’importantes réformes structurelles, notamment avec l’adoption d’un nouveau code des investissements en 2025, destiné à renforcer la transparence, simplifier les procédures et accroître la compétitivité. Cette dynamique, à ses yeux, s’inscrit dans un environnement de stabilité macroéconomique relative, bien que marqué par une tension liée à l’endettement public et à la hausse du coût du financement, qui incitent à une gestion plus prudente des ressources. Cheikh Dieng souligne également que le développement du capital‐investissement, la montée en puissance de sociétés de gestion locales et régionales et l’essor des fonds à impact traduisent la volonté d’accompagner la transformation du tissu économique sénégalais. Cependant, alerte‐t‐il, le marché demeure peu profond, car confronté à un manque de liquidité et à des mécanismes de sortie limités, freinant encore la consolidation de sa croissance.
Les technologies, secteur à fort potentiel
De l’avis de Cheikh Dieng, les secteurs les plus attractifs pour les fonds d’investissement au Sénégal reflètent les priorités nationales de développement et les dynamiques régionales. Par exemple, dit‐il, les technologies numériques, notamment les fintechs, jouent un rôle moteur dans l’inclusion financière et la modernisation de l’économie. Le secteur de l’énergie, porté par les projets dans le gaz, le pétrole et les renouvelables, selon Cheikh Dieng, attire également un volume croissant de capitaux, tout comme l’agro‐industrie, soutenue par la volonté de renforcer la transformation locale et la sécurité alimentaire.
Les infrastructures, la santé et le tourisme durable complètent cet écosystème prometteur, en cohérence avec la Vision Sénégal 2050. De son côté, Sidy Niang pense que les secteurs les plus attractifs sont ceux qui fournissent des produits et services essentiels à une majeure partie de la population sénégalaise (donc avec des fondamentaux liés à la croissance de la population et celle du PIB/habitant) et qui peuvent prospérer dans un cadre formel. Il s’agit, d’après lui, des services financiers et digitaux, de l’industrie notamment agroalimentaire, les biens de grande consommation, la logistique et la distribution. Sans oublier la santé et l’enseignement privé, ainsi que les infrastructures et énergies (renouvelables).
« Ces secteurs offrent des perspectives de scalabilité et de création de valeur durable. Sur le plan réglementaire, la directive 02/2011 de l’UEMOA constitue une base solide pour le développement du capital‐investissement local. Des progrès sont toutefois nécessaires pour rendre les fonds fiscalement attractifs et faciliter la mobilisation de l’épargne locale (assureurs, banques, caisses de retraite, grandes fortunes) : rendre la fiscalité attractive (sur les gains en capitaux), réduire les frottements fiscaux sur les instruments de quasi‐capital (déductibilité d’impôts des intérêts de prêts, TVA) et mettre en place un cadre incitatif pour faire des opérations à effet de levier (LBO) », explique Sidy Niang.
Plusieurs défis à relever
D’après Sidy Niang, les fonds peinent à identifier des entreprises de taille critique dotées d’une gouvernance claire et de structures adaptées à l’accueil d’un investisseur. D’autre part, constate‐t‐il, beaucoup d’entrepreneurs, absorbés par l’opérationnel, manquent des outils de formalisation indispensables pour accueillir un investisseur (reporting, comptabilité rigoureuse, séparation des fonctions ou encore plan et narratif de croissance documenté). Ainsi, il en déduit qu’il y a un écart entre l’offre de capitaux et la demande qualifiée de financement. Fort de cela, ajoute‐t‐il, le défi majeur est d’accompagner les entreprises dans leur structuration et traduire leurs besoins en opportunités d’investissement concrètes.
À côté, il estime que favoriser le développement d’une plus grande liquidité des investissements constituerait un puissant catalyseur. « En favorisant les cessions et transmissions d’entreprises, le marché sénégalais pourrait se rapprocher des logiques des autres actifs (immobilier, obligations ou actions cotées). Cela suppose toutefois une évolution culturelle et une sensibilisation accrue des entrepreneurs à la valeur qu’ils peuvent créer en cédant ou en ouvrant leur capital », propose Sidy Niang. Sur ce volet, Cheikh Dieng indique que le premier défi à relever, réside dans la difficulté à identifier un nombre suffisant de projets « bancables », disposant d’un business model robuste, d’une équipe expérimentée et d’une gouvernance transparente. Il ajoute également que l’accès des PME et startups à ces financements demeure compliqué en raison de leur profil financier limité, avec un historique comptable court ou insuffisant pour évaluer le risque. Et pour faire face à ces manquements, il souligne que le Sénégal doit améliorer son attractivité relative en renforçant la simplicité des procédures, la sécurité juridique et la protection des investisseurs, afin d’attirer durablement les capitaux.
Parachever les réformes
Pour dynamiser le marché des fonds d’investissement au Sénégal, il est essentiel selon Cheikh Dieng, d’adopter une approche réglementaire, opérationnelle et structurelle. Sur le plan réglementaire, dit‐il, l’application effective du Code des investissements du Sénégal doit être accélérée afin de garantir la rapidité et la transparence du traitement des projets, tout en clarifiant le cadre spécifique aux fonds d’investissement, sécurisant ainsi les transactions et favorisant l’innovation financière. Au niveau opérationnel, Cheikh Dieng pense que le rôle des intermédiaires financiers, tels que les banques d’affaires et les cabinets de conseil, doit être renforcé pour réduire le fossé entre investisseurs et porteurs de projets, notamment ceux manquant d’expertise technique ou financière pour structurer leurs besoins et stratégies. Sidy Niang abonde dans le même sens.
Pour lui, il faut d’abord renforcer la préparation des entreprises à accueillir des investisseurs ou à céder leurs entreprises dans le but de créer un marché dynamique des fusion-acquisition. Deuxièmement, encourager la mobilisation du capital local (assurances, banques, grandes fortunes) vers le financement en capital d’entreprises non‐cotées pour faire de l’épargne locale un acteur du développement économique. Et troisièmement, fluidifier le droit des affaires par la simplification des procédures, la sécurisation des contrats et des investisseurs et une meilleure prévisibilité des décisions de justice. « Ces leviers ne produiront pleinement leurs effets que s’ils s’accompagnent d’une professionnalisation accrue du conseil en investissement et en M&A capable de créer des passerelles entre capitaux et entreprises », espère‐t‐il. À ses yeux, les fonds d’investissement ne sont pas une fin en soi. Mais leur véritable impact se mesure à la capacité du capital à renforcer la compétitivité des entreprises, favoriser les transmissions et créer de la valeur pour l’économie sénégalaise.

