Alors que le capital‐investissement se structure progressivement au Sénégal, Teranga Capital fait figure de précurseur dans le financement des PME locales. Son Directeur général adjoint, Mohamed Ngom, revient sur l’évolution du marché, les difficultés d’accès au crédit bancaire, les défis de mobilisation de capitaux nationaux et les leviers nécessaires pour accélérer le développement du private equity dans le pays.
Vous êtes le Directeur Général Adjoint de Teranga Capital, l’un des premiers fonds d’investissement privé au Sénégal créé en 2016 par des entre‐preneurs et des acteurs privés. Comment se caractérise aujourd’hui le marché des fonds d’investissement au Sénégal ?
Le marché sénégalais du capital‐investissement connaît aujourd’hui une phase d’évolution notable, portée par des transformations réglementaires et par l’arrivée de nouveaux acteurs spécialisés. L’espace OHADA a accéléré l’actualisation de son cadre juridique, avec une implication accrue du CREPMF et de la BRVM, afin d’harmoniser les exigences en matière d’agrément, de structuration des fonds et de conformité. Cette évolution crée un environnement plus lisible et mieux adapté aux ambitions des véhicules d’investissement opérant en Afrique de l’Ouest. Parallèlement, l’écosystème se diversifie : fonds orientés technologie, finance islamique, infrastructures, entrepreneuriat féminin (WIC, WEE Fund), retourne ment, et initiatives locales émergentes. La demande en financement en capital augmente à mesure que la qualité des projets s’améliore, notamment grâce au rôle positif joué par les incubateurs, accélérateurs et conseillers financiers qui contribuent à mieux structurer les dossiers et à renforcer le deal flow.
Cependant, la mobilisation de capitaux nationaux demeure limitée. Les patrimoines privés sénégalais privilégient encore les investissements immobiliers ou bancaires classiques, et les investisseurs internationaux restent majoritaires dans le financement des fonds. Cette situation ralentit l’ancrage local du capital‐investissement, alors même que son impact sur la structuration du tissu entrepreneurial est reconnu. Dans ce contexte, Teranga Capital s’est imposé comme un acteur de référence. Depuis 2016, nous avons financé 13 entreprises, accompagné leur structuration et réalisé deux sorties auprès d’investisseurs africains, démontrant la capacité du marché local à offrir des perspectives de liquidité crédibles. Nous avons également réussi à mobiliser des investisseurs locaux de premier plan FONSIS, Sonatel, SGS, ainsi que des investisseurs privés sénégalais ce qui confirme l’intérêt grandissant pour les actifs alternatifs. Nous avons par ailleurs noué des partenariats avec des bailleurs internationaux, qui nous ont permis de nous doter d’outils spécifiques tels que des garanties de fonds propres et des subventions d’investissement.
Ces dispositifs réduisent significativement le risque supporté par les investisseurs locaux, renforcent l’attractivité du véhicule et favorisent la mobilisation de capitaux domestiques vers le financement des PME. Enfin, afin de répondre à la montée en maturité des entreprises, Teranga Capital a renforcé sa capacité d’intervention : nos tickets se situent désormais entre 100 millions et 1 milliard FCFA, ce qui nous permet d’accompagner des PME plus structurées et d’intervenir à différents stades de leur développement.
Les acteurs du secteur privé dénoncent souvent les conditions difficiles d’accès au crédit bancaire. Comment les fonds d’investissement peuvent‐ils constituer une alternative ?
L’accès au crédit bancaire demeure un défi majeur pour les PME : exigences de garanties élevées, coûts de financement importants, contraintes de remboursement strictes et absence d’accompagnement post‐financement. Ce modèle limite fortement la capacité des entreprises à investir dans la structuration, l’innovation ou l’expansion. Le capital‐investissement apporte une réponse adaptée à ces contraintes. Les fonds interviennent sans garanties, avec des instruments de financement flexibles et un horizon d’investissement compatible avec le rythme d’évolution des PME. Au‐delà du capital, ils apportent un accompagnement stratégique, opérationnel et financier : amélioration des systèmes internes, renforcement de la gouvernance, structuration de la fonction financière, formalisation des processus. Chez Teranga Capital, cette approche a déjà démontré son efficacité. Plusieurs entreprises de notre portefeuille ont pu franchir des paliers significatifs : formalisation avancée, accès à de nouveaux marchés, levée de financements additionnels, diversification de leurs activités ou structuration de leurs équipes. Le capital devient ainsi un accélérateur de croissance et non seulement une source de financement.
Quels sont les principaux défis que rencontrent les fonds d’investissement au Sénégal ?
Le premier défi est la mobilisation de capitaux locaux. La culture du capital‐investissement reste émergente, et les acteurs nationaux n’intègrent pas encore pleinement cette classe d’actifs dans leurs stratégies patrimoniales ou institutionnelles. Les financements internationaux, bien qu’essentiels, ne suffisent pas à garantir un développement durable du marché. Au sein de Teranga Capital, nous avons noué un partenariat avec Proparco, qui nous permet de disposer d’une garantie de fonds propres, destinés à atténuer le risque pour les investisseurs locaux et à renforcer l’attractivité du véhicule. Le second défi concerne la création de liquidité. Le Sénégal dispose de fonds de capital‐risque et de capital‐développement, mais l’absence de véritables fonds de rachat génère un blocage au moment des sorties, pourtant cruciales pour attirer davantage d’investisseurs et recycler les capitaux. Teranga Capital a toutefois démontré la faisabilité du modèle avec deux sorties réalisées localement.
Quelles mesures recommanderiez‐ vous pour dynamiser le marché des fonds d’investissement ?
Plusieurs leviers structurants pourraient accélérer la dynamique :
● Renforcer la mobilisation de capitaux locaux, notamment via des incitations fiscales encourageant les particuliers à haut revenu, les entreprises et certaines institutions à investir dans les fonds dédiés aux PME.
● Développer un marché robuste des sorties, en favorisant l’émergence de fonds de rachat et en incitant les grandes entreprises à investir dans des PME.
● Continuer à structurer l’écosystème entrepreneurial, en soutenant les incubateurs, accélérateurs, cabinets de conseil et organisations intermédiaires qui améliorent significativement la qualité des projets. Teranga Capital illustre déjà le potentiel du marché : portefeuille diversifié, sorties réalisées, ancrage local renforcé, outils innovants pour réduire le risque et capacité à financer des PME à fort potentiel.

