Dans cette interview, Alassane Diarra, Doctorant en sciences de gestion, expert certifié en Green Banking analyse l’émission d’obligations vertes annoncée par le Sénégal. Pour lui, en s’apprêtant à devenir le premier État de l’UEMOA à émettre une obligation verte souveraine, le Sénégal confirme son rôle de pionnier après avoir déjà ouvert la voie dans l’émission de sukuk islamiques.
Le Sénégal compte émettre prochainement une obligation verte. Qu’est‐ce que cela vous inspire ?
Dans un contexte mondial où le changement climatique constitue une préoccupation croissante, la finance durable se positionne comme une solution stratégique à cette crise. Le Sénégal, pays d’Afrique de l’Ouest, a récemment adopté la Green Bond Initiative, un mécanisme innovant permettant de lever des fonds pour des projets ayant un impact positif sur l’environnement. Ces instruments financiers, bien que relativement nouveaux sur le marché sénégalais, présentent de réelles opportunités pour l’État et ses démembrements, les entreprises privées et les sociétés de gestion et d’intermédiaire (SGI). Ils permettent de financer des projets verts tout en stimulant l’économie locale et en répondant aux engagements climatiques du Sénégal. Cependant, remplir ces obligations reste un défi et nécessite un cheminement de progression pour maximiser leur impact.
Comme les obligations traditionnelles, les obligations vertes ou Green Bonds sont des titres de créance émis par des émetteurs pour lever des fonds sur les marchés financiers. Mais ce qui les rend particuliers, c’est leur objectif spécifique à savoir, le financement des projets ayant un impact positif sur l’environnement. En s’apprêtant à devenir le premier État de l’UEMOA à émettre une obligation verte souveraine, le Sénégal confirme son rôle de pionnier après avoir déjà ouvert la voie dans l’émission de sukuk islamiques. Cette dynamique témoigne de la volonté nationale de diversifier ses sources de financement tout en consolidant sa position de leader régional en matière de finance durable. Le ministre des Finances et du Budget, Cheikh DIBA, a officiellement annoncé cette initiative lors du West Africa Sustainable Finance and Investment Forum (WASFIF). Il a rappelé qu’un document‐cadre détaillé a été élaboré pour identifier les projets à fort impact environnemental et constituer un portefeuille d’investissements verts. Cette démarche renforce l’alignement du Sénégal avec les exigences ESG et accroît la confiance des investisseurs internationaux.
Le Cadre Réglementaire est‐il adapté à votre avis ?
Le CREPMF, qui est devenu AMF‐UMOA depuis le 01 octobre 2022, a élaboré un guide pédagogique pour l’émission d’obligations vertes, sociales et durables sur le marché financier régional de l’UMOA, en vertu de la circulaire N°001/AMF‐UMOA/2024 le 28 février 2024. L’État du Sénégal a également publié en date du 6 septembre 2023, un document cadre qui vise à établir un cadre organisé pour les émissions d’obligations vertes et durables au Sénégal. Au Sénégal, la mise en place d’obligations vertes revêt une grande importance grâce aux priorités nationales de développement durable. À ce titre, les obligations vertes jouent un rôle essentiel dans le financement de projets d’infrastructures durables et d’initiatives d’adaptation au changement climatique. Par exemple, l’Agence nationale des énergies renouvelables (ANER) et d’autres institutions publiques telles que les collectivités territoriales peuvent se baser sur ces obligations afin de mobiliser des fonds pour des projets d’infrastructures respectueuses de l’environnement. Le secteur privé au Sénégal occupe également une place importante dans l’évolution des Green Bonds. Baobab, une société de microfinance de premier plan en Afrique, a récemment mis en place sa propre obligation verte, sociale et durable d’une valeur de 20 milliards de FCFA avec un taux d’intérêt de 6,80 % pour une période allant de 2024 à 2029. Malgré son caractère privé, cette initiative témoigne également de l’implication du Sénégal dans la transition vers une économie durable et inclusive. La SENELEC a émis 120 milliards de FCFA d’obligations vertes et durables, une première en Afrique, combinant à la fois un Green Bond et un Sustainable Linked Bond, structurés en quatre tranches avec des taux allant jusqu’à 10 %. Cette opération permettra de financer des projets d’énergies renouvelables et d’efficacité énergétique, tout en soutenant l’objectif national d’atteindre 40 % d’énergies renouvelables dans le mix électrique d’ici 2030.
Bien que les obligations vertes présentent de nombreux avantages évidents, il existe plusieurs obstacles qui entravent leur adoption à grande échelle au Sénégal. Il serait donc essentiel de mettre en œuvre des normes claires et rigoureuses afin d’assurer la crédibilité et l’attrait des obligations vertes au Sénégal. Un autre obstacle important concerne les réglementations et les institutions. Le Sénégal bénéficie d’un cadre juridique et réglementaire encore en plein essor afin de réguler de manière optimale les obligations vertes. Les investisseurs potentiels peuvent être découragés par l’absence de normes précises concernant la certification des projets verts ou la transparence dans le reporting de l’impact environnemental. La mise en place de standards clairs et rigoureux serait donc indispensable pour garantir la crédibilité et l’attractivité des obligations vertes sénégalaises.
Quelles sont les stratégies et voies de progrès pour maximiser l’impact des obligations vertes au Sénégal ?
Pour que le Sénégal puisse bénéficier pleinement des obligations vertes, il est possible d’envisager différentes solutions, tant du côté des autorités publiques que des acteurs privés. En tant que principal émetteur, l’État sénégalais doit prendre une position de leader en instaurant des mécanismes de régulation et de suivi rigoureux. Il a notamment la possibilité de se baser sur l’expertise nationale et internationale en matière de finance verte et de se rapprocher d’institutions financières telles que la Banque Mondiale ou la Banque Africaine de Développement, qui offre des assistances techniques et financières pour la mise en place de projets écologiques. Pour commencer, il serait primordial de consolider le cadre juridique et institutionnel concernant les obligations vertes. Il est nécessaire pour les SGI de renforcer leur aptitude à soutenir l’émission et la gestion des obligations vertes. Une communication plus efficace sur les bénéfices des investissements durables, associée à la création de produits financiers plus abordables, favoriserait également la demande pour ces obligations.
Finalement, il est nécessaire d’accroître la sensibilisation à la finance verte. En organisant des forums et des séminaires, l’État peut jouer un rôle essentiel en sensibilisant les acteurs économiques et les citoyens à l’importance des investissements verts et à leurs effets bénéfiques sur l’économie et l’environnement. En outre, il est possible de mettre en œuvre des avantages fiscaux afin d’inciter les entreprises et les investisseurs à orienter davantage leurs ressources vers des projets durables. En combinant leadership politique, cadre réglementaire robuste, transparence renforcée et pipeline solide de projets verts, le Sénégal peut s’affirmer durablement comme un hub régional majeur de la finance durable. Cette stratégie intégrée permettra d’attirer davantage de capitaux verts internationaux et de financer efficacement sa transition énergétique et écologique.


