Alors que les banques de l’UEMOA ont jusqu’en 2027 pour porter leur capital social à 20 milliards de FCFA, le paysage financier de la région poursuit sa mutation. Entre la consolidation du secteur bancaire et la digitalisation accélérée des paiements avec la mise en service de la Plateforme Interopérable du Système de Paiement Instantané, l’Union se trouve à un tournant décisif. L’expert bancaire malien, Allaye Bocoum, analyse les enjeux de ces deux réformes majeures qui visent, chacune à leur manière, à renforcer la solidité du système financier et à rapprocher les services bancaires des populations.
2027 est le deadline pour que les banques de l’UEMOA se conforment au relèvement du capital social fixé à 20 milliards de FCFA. Ce délai est-il réaliste à votre avis ?
Personnellement, je trouve que le relèvement du capital minimum des banques à 20 milliards de FCFA d’ici 2027 est un objectif réaliste. Plusieurs établissements de la zone ont déjà franchi ce seuil, parfois largement, preuve que la cible est atteignable. De plus, la BCEAO a accordé un délai de trois ans (2024-2027) aux banques non conformes pour se mettre à niveau ; ce qui leur laisse une marge de manœuvre.
L’esprit de cette réforme est simple : rendre les banques plus solides et protéger les déposants. Mieux vaut un petit nombre de banques robustes, capables de résister aux chocs économiques et de financer des projets structurants, que de nombreuses petites banques fragiles. Le véritable enjeu ne réside donc pas dans la brièveté du délai, mais dans la structure même du secteur bancaire où l’on retrouve encore beaucoup de petites banques. Même si l’on rallongeait le calendrier, certaines ne parviendraient pas à atteindre le seuil réglementaire. Pour elles, la voie la plus viable passera par des fusions, acquisitions ou des rapprochements stratégiques. En clair, cette réforme va sans doute accélérer la consolidation du secteur. Loin d’être une faiblesse, c’est un pas nécessaire : trop de petites banques fragiles ne profitent ni à l’économie ni aux clients.
La Plateforme Interopérable du Système de Paiement Instantané de l’UEMOA a été lancée le 30 septembre 2025, à Dakar. Quels sont, à votre avis, les avantages économiques et sociaux de cet outil innovant ?
À mon avis, c’est une véritable révolution pour notre système financier. Sur le plan économique, l’interopérabilité va fluidifier les paiements et réduire les délais. Les transferts seront instantanés, 24h/24, que ce soit entre banques, SFD ou mobile money. Imaginez un commerçant à Bamako qui vend ses produits et reçoit son paiement via mobile money, pendant que son fournisseur à Dakar exige un règlement sur un compte bancaire. Avec la plateforme, le commerçant pourra transférer de l’argent directement et instantanément de son portefeuille mobile vers le compte bancaire de son fournisseur, sans passer par des intermédiaires. Cela réduit les délais, améliore la trésorerie et diminue la dépendance au cash. Les coûts de transaction vont aussi baisser ; ce qui est une bonne nouvelle pour les commerçants et les consommateurs.
Sur le plan social, l’impact est encore plus fort. Cette plateforme va rapprocher les populations des services financiers. Une personne qui n’a qu’un compte mobile, Orange Money par exemple, pourra envoyer ou recevoir de l’argent d’une banque sans difficulté. Cela favorisera l’inclusion financière, notamment dans les zones rurales. En plus, avec des transactions tracées et sécurisées, on réduit l’utilisation du cash et les risques qui y sont liés.
En résumé, cette plateforme va, à la fois, stimuler l’activité économique et rapprocher les services financiers des populations qui en étaient jusque-là éloignées.
Ce projet de la BCEAO constitue-t-il un catalyseur ou un frein pour les Fintechs et le mobile money ?
Je dirais que c’est avant tout un catalyseur, car il marque une avancée majeure pour l’intégration des services financiers dans l’UEMOA. L’interopérabilité élargit le marché des Fintechs et des opérateurs de mobile money : un client pourra envoyer de l’argent d’Orange Money vers une banque, ou d’une banque vers Wave, en quelques secondes, sans barrière. Cela augmente le volume de transactions et crée de nouvelles opportunités de services.
Cependant, une nuance importante mérite d’être soulignée : la question des frais. Les opérateurs appliquent déjà leurs propres tarifications, et devront supporter des frais imposés par la BCEAO pour accéder à la plateforme interopérable. Si ce surcoût est répercuté sur les usagers, cela risque de réduire la compétitivité des Fintechs, qui ont bâti leur succès sur leur accessibilité et des tarifs bas. Par exemple, un petit commerçant qui choisit Wave pour ses faibles coûts pourrait revenir au cash si les frais interopérables deviennent trop lourds pour lui.
En résumé, ce dispositif est un levier puissant pour stimuler l’innovation et l’inclusion financière. Les gagnants seront les usagers et l’économie en général. Pour les Fintechs, l’opportunité est réelle, à condition que la tarification reste équilibrée et ne vienne pas étouffer leur modèle économique.
Quelles sont les mesures et orientations qui s’imposent pour garantir la réussite de ce dispositif ?
Pour moi, trois conditions sont essentielles. D’abord, la tarification : elle doit être transparente et proportionnée. Si les frais interopérables sont trop élevés, les populations reviendront au cash, et ce serait un échec. Par exemple, un vendeur de légumes à Thiès qui accepte aujourd’hui Wave pour éviter les grosses commissions doit continuer à y trouver un avantage. Ensuite, il faut un vrai travail de sensibilisation et d’éducation financière. Beaucoup d’usagers ne connaissent pas encore les outils digitaux. Si la plateforme existe mais que les gens ne savent pas l’utiliser, son impact restera limité. Les campagnes d’information doivent donc cibler aussi bien les zones urbaines que rurales. Enfin, la collaboration entre banques, SFD, opérateurs de mobile money et Fintechs est primordiale. Ce n’est pas une course à qui va dominer, mais une occasion de bâtir un écosystème inclusif. La BCEAO doit jouer pleinement son rôle d’arbitre, en garantissant des règles claires et équitables. Si ces conditions sont respectées, ce dispositif peut devenir un levier puissant pour transformer nos économies et rapprocher encore davantage la finance des populations.


