Contenu : « La question de la sortie du Franc CFA, cette monnaie longtemps considérée comme un instrument de contrôle économique de la France en Afrique, suscite de vives discussions. Cependant, plutôt que de considérer cette sortie comme une fin en soi, pourquoi ne pas envisager l’adoption d’une monnaie unique africaine comme une opportunité ? Cette démarche pourrait permettre aux pays africains de renforcer leur intégration économique et de gagner en autonomie monétaire. Plutôt qu’un débat stérile, il est temps d’envisager de nouvelles perspectives pour l’avenir financier de l’Afrique. »
Chaque moment où perdure l’utilisation du « Franc des Colonies Françaises d’Afrique » représente une atteinte à notre souveraineté. Il est grand temps d’établir les fondements nécessaires à l’émergence d’une monnaie unique africaine.
D’abord, une monnaie unique africaine serait légitimée par notre volonté de prendre en main notre propre destinée. En effet, la sortie du Franc CFA est justifiée en principe, car selon les principes juridiques, tout ce qui est juste est légitime par nature, et la souveraineté monétaire, condition essentielle de la souveraineté économique d’un pays, ne fait pas exception à cette règle.
La dimension symbolique :
Il est désormais impératif, après des décennies de colonisation meurtrière ayant laissé des cicatrices toujours présentes, suivies d’une prétendue indépendance maintenue dans une servitude prolongée, de tourner la page sur une domination devenue insupportable. La question n’est pas de débattre de la pertinence de quitter le franc CFA, mais plutôt de déterminer comment créer les conditions favorables à l’établissement d’une monnaie unique africaine. Cette perspective revêt une importance symbolique significative.
Au-delà des considérations techniques, l’utilisation continue du franc CFA, symbole d’une histoire marquée par des siècles de domination française et d’exploitation de nos ressources, est tout simplement inacceptable. La création d’une monnaie unique africaine constitue une revendication légitime de la population, symbolisant la souveraineté, l’autonomie culturelle et l’indépendance, tout en exprimant notre capacité à façonner notre destin économique pour répondre aux besoins de nos communautés. Il est inconcevable de revendiquer l’Afrique comme grenier du monde et terre de richesses naturelles si nos économies restent sous le joug de puissances étrangères.
Ne pas rompre avec le franc CFA revient à entériner explicitement la position scandaleuse de ceux qui continuent de prôner les vertus de la colonisation. Bien entendu, nous reconnaissons les défis et les coûts associés à cette transition, mais nous sommes convaincus que les avantages à moyen terme seront largement compensés. Il est désormais nécessaire d’agir et de prendre en main notre économie à travers des institutions robustes et crédibles, dirigées par des individus capables de mener des politiques économiques au bénéfice de leur pays, dans le cadre d’un véritable partenariat public-privé.
La décision ne peut se limiter au Sénégal, bien que notre pays joue un rôle déterminant dans la création d’une monnaie unique africaine. D’autres pays tels que le Mali, le Niger, le Burkina Faso et la Guinée ont montré la voie, et il est désormais temps d’exploiter cette dynamique avec calme et détermination, en créant les conditions économiques nécessaires à l’abandon définitif du franc CFA.
De plus en plus de nouveaux dirigeants africains, portés par la volonté populaire, aspirent à redéfinir leurs relations avec la France et à mettre fin aux pratiques nébuleuses de la Françafrique, même si ces pratiques ont rarement été remises en question, y compris par les dirigeants français. Il est temps de passer des paroles aux actes, car le succès de la création d’une monnaie unique africaine dépend de plusieurs conditions.
Malgré une certaine hétérogénéité économique, les zones UEMOA et CEMAC bénéficient d’une stabilité monétaire qu’il convient de préserver. Les évolutions du contexte international, national et technologique exigent une réflexion approfondie sur notre destin commun et les conditions permettant au Sénégal de devenir un État-nation enraciné tout en jouant un rôle moteur pour l’Afrique.
L’arrivée de nouveaux acteurs internationaux, tels que la Chine, a bouleversé l’ordre établi et créé de nouvelles opportunités pour des pays comme le Sénégal. C’est dans ce contexte qu’il convient d’analyser la mise en place des conditions de notre souveraineté monétaire. Cette réussite exigera une discipline économique rigoureuse pour permettre la convergence de nos économies.
La convergence des pratiques budgétaires africaines est une condition essentielle à l’établissement d’une monnaie africaine. Actuellement, la Côte d’Ivoire et le Sénégal, leaders de l’UEMOA, affichent des niveaux de déficits budgétaires qui pourraient compromettre la viabilité de la future monnaie unique africaine. Il est crucial d’adopter une discipline budgétaire et d’éviter des déficits persistants excessifs pour attirer durablement les investisseurs et maintenir la crédibilité de notre monnaie.
Il est temps de mettre fin à l’exploitation éhontée de nos ressources humaines et naturelles, souvent avec la complicité de nos dirigeants, et de reprendre légitimement le contrôle de notre destin. Comme le disait Wole Soyinka, « le tigre n’a pas besoin de chanter sa tigritude, il tue sa proie et la mange. » De même, nous n’avons pas besoin de débattre de la sortie ou non du franc CFA, mais plutôt de créer les conditions d’une monnaie unique africaine, indispensable pour assurer durablement le développement économique de notre continent. C’est non seulement une revendication légitime de la population, mais aussi une question de bon sens.
En conclusion, bien que le chemin à parcourir soit ardu, l’abandon du franc CFA est synonyme de croissance économique durable et, par conséquent, d’une amélioration des conditions de vie de nos concitoyens. Cela nous permettra de mettre en œuvre une politique économique et monétaire adaptée à nos réalités et capable d’atténuer les chocs externes. Bien que les conséquences puissent être douloureuses à court terme, les avantages à moyen et long terme seront bénéfiques, à condition de mettre en place de véritables réformes institutionnelles et de renforcer la coopération régionale. Tout dépendra d’un engagement politique fort, tel que le laissent entendre les déclarations des nouveaux dirigeants.
Ce dont nous avons désormais besoin, c’est d’agir et de prendre en main notre économie à travers des institutions solides et crédibles, dirigées par des hommes et des femmes capables de mener des politiques économiques au service de leur pays et inscrites dans un véritable partenariat public- privé. Il est donc urgent de mettre en place une structure chargée de la création de cette monnaie, qui devra imposer une véritable discipline budgétaire. Tout cela relève de la volonté politique.
Dr Daby POUYE, économiste. Président du Mouvement Sopp Sénégal. E-Mail : daby.pouye@gmail.com