dimanche, novembre 9, 2025

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Delivery Units sectorielles : un levier stratégique pour accélérer les priorités nationales (TRIBUNE)

Depuis plusieurs décennies, les États africains affichent des visions ambitieuses de transformation. Mais trop souvent, elles tardent à se concrétiser. Ce décalage entre ce qui est planifié et ce qui est réalisé, que les chercheurs Pressman et Wildavsky appelaient dès les années 1970 le “gap d’exécution”, reste l’un des plus grands défis du continent. Résultat : des chantiers qui prennent du retard, des investissements publics qui perdent en efficacité, une confiance citoyenne érodée et une dépendance accrue vis-à-vis des bailleurs.

Face à cette impasse, plusieurs gouvernements ont innové avec un nouvel outil : les Delivery Units. Nées au Royaume-Uni en 2001, popularisées en Malaisie puis reprises dans d’autres pays, elles s’imposent comme une réponse concrète pour accélérer l’action publique. Aujourd’hui, le Sénégal s’inscrit dans cette dynamique en lançant des Delivery Units sectorielles, directement installées dans les ministères pour rapprocher les décisions des réalités de terrain.

Le déficit d’exécution, obstacle majeur aux priorités nationales

Malgré des progrès significatifs en matière de planification et de stratégie, de nombreux pays africains peinent encore à transformer leurs ambitions en résultats. La mise en œuvre des politiques se heurte à une coordination institutionnelle insuffisante, des capacités de suivi limitées, une dispersion des priorités et une faible culture de la performance.

Cette faiblesse dans l’exécution réduit l’impact des investissements publics, ralentit la mise en œuvre des réformes et compromet la réalisation des objectifs de développement. Elle fragilise en outre le lien de confiance entre l’État, les citoyens et les partenaires, tout en générant des effets négatifs tels que la mauvaise allocation des ressources, la démotivation des acteurs et une érosion de la crédibilité institutionnelle.

Dans ce contexte, les Delivery Units apparaissent comme un outil éprouvé pour améliorer la discipline d’exécution. Là où les DU centrales assurent le suivi et la cohérence des priorités au sommet de l’État, les DU sectorielles interviennent directement dans les ministères, en rapprochant les outils de performance des réalités opérationnelles et en renforçant l’efficacité des projets de terrain.

DU centrale ou sectorielle : deux leviers, deux échelles d’impact

Une Delivery Unit (DU) est une structure spécialisée, intégrée dans l’appareil administratif, qui a pour mission de suivre de manière rapprochée l’exécution des priorités gouvernementales, d’identifier rapidement les blocages et d’accompagner leur résolution.

La DU centrale, généralement rattachée à la Primature ou à la Présidence, a pour mission de suivre l’ensemble des priorités gouvernementales au plus haut niveau, d’assurer leur cohérence et de lever les blocages intersectoriels. Elle joue ainsi un rôle de pilotage stratégique et de coordination globale.

À l’inverse, les DU sectorielles sont implantées directement dans les ministères. Elles se concentrent sur l’exécution des réformes et projets prioritaires propres à chaque secteur, en travaillant aux cotés des directions techniques et des équipes opérationnelles. Elles constituent donc un dispositif complémentaire, qui traduit les orientations nationales en actions concrètes et mesurables sur le terrain.

Là où les DU sectorielles font la différence

La mise en place de Delivery Units sectorielles apporte une transformation tangible dans la manière dont les ministères planifient, coordonnent et exécutent leurs projets prioritaires. Elles permettent de traduire des ambitions politiques en feuilles de route opérationnelles, avec des indicateurs clairs et des échéances précises.

Par exemple, une DU au sein d’un ministère de la santé peut réduire les délais d’approvisionnement en médicaments en instaurant un suivi hebdomadaire et en débloquant rapidement les goulots administratifs. Dans un ministère de l’éducation, elle peut accélérer la construction de salles de classe en coordonnant les directions techniques, les bailleurs et les opérateurs privés.

En résumé, la DU sectorielle installe une discipline d’exécution, renforce la coordination, diffuse la culture de performance et accroît la capacité à livrer des résultats visibles dans des délais maîtrisés.

Deux expériences africaines, une même leçon

DU Santé –Rwanda

La DU santé a joué un rôle déterminant dans l’accélération des priorités nationales. Grâce à un portage politique fort, des revues mensuelles de performance et à une coordination renforcée avec les districts et les partenaires, elle a permis de réduire de près de 50 % la mortalité maternelle en une décennie, d’étendre la couverture santé communautaire à plus de 90 % de la population et d’atteindre des taux de vaccination supérieurs à 95 %. Ces résultats impressionnants ont néanmoins été limités par une forte dépendance aux financements extérieurs ainsi que des disparités dans la qualité des données collectées.

DU Education – Sierra Leone

La DU a appuyé le programme Free Quality School Education, renforçant la coordination entre ministère, bailleurs et ONG. Elle a contribué à la distribution de millions de manuels et à une hausse notable des inscriptions, notamment pour les filles en zones rurales. Le soutien politique du Président et du Ministre a été déterminant. Les limites tiennent à l’absence d’ancrage juridique et budgétaire, à la dépendance aux bailleurs et à des résistances internes.

Ces deux cas montrent que les DU sectorielles peuvent générer des résultats mesurables et rapides dans des secteurs essentiels. Leur pérennité suppose toutefois un ancrage institutionnel clair, un financement national durable et des capacités de suivi renforcées.

De l’expérimentation à l’institution : comment pérenniser les DU sectorielles

Pour que les Delivery Units (DU) puissent remplir pleinement leur mission et s’inscrire dans la durée, plusieurs mesures stratégiques s’imposent.

• Ancrage institutionnel solide : inscrire les DU dans les décrets d’organisation ministériels pour leur conférer un statut officiel, clarifier leurs responsabilités et garantir leur continuité.

Financement national pérenne : démarrer avec l’appui des bailleurs est légitime, mais l’État doit prendre le relais. Une ligne budgétaire dédiée dans la loi de finances doit sécuriser le fonctionnement annuel. Elle peut être complétée par une légère contribution prélevée sur le budget des projets suivis par la DU.

Méthodologie harmonisée : comme en Malaisie (Big Fast Result) ou aux Émirats (100 Days Challenge), le Sénégal doit définir sa propre méthode commune, partagée par toutes les DU sectorielles. Cela assure cohérence, comparabilité des résultats et identité nationale.

Renforcement des capacités : s’appuyer sur des équipes compétentes, formées à la gestion de projet et au pilotage par les résultats. La formation continue est essentielle pour installer une culture de performance durable.

Gouvernance des données : sans données fiables et disponibles en temps réel, pas de pilotage crédible. Il faut des outils digitaux, des tableaux de bord partagés et des routines de reporting pour renforcer transparence et confiance.

Conduite du changement : les DU doivent être vues comme des alliées, non des organes de contrôle. Impliquer tôt les directions techniques, valoriser des succès rapides et instaurer des concertations régulières est indispensable pour lever les réticences.

Conclusion

La réussite des politiques publiques ne dépend pas uniquement de la qualité des stratégies, mais de la capacité des gouvernements à exécuter efficacement leurs priorités. Dans cette perspective, les Delivery Units sectorielles représentent une innovation institutionnelle majeure pour combler le « gap d’exécution » et instaurer une discipline de performance dans l’action publique.

Par Khady Fall, Directrice Générale et Associée de GDI Delivery,

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