À la tête de l’Association professionnelle des banques et établissements financiers du Sénégal (APBEFS), Mme Khady Boye Hanne, par ailleurs, Administrateur Directeur général de BGFIBank Sénégal, incarne une génération de dirigeants convaincus que les banques ne doivent plus se limiter à l’intermédiation classique. À l’heure où l’exploitation pétrolière et gazière est en plein régime, où la BCEAO s’apprête à lancer son système de paiement instantané interopérable, et où le capital minimum des banques sera relevé à 20 milliards de FCFA d’ici 2027, le secteur bancaire sénégalais se réinvente. Mme Hanne décrypte cette mutation profonde : des banques plus solides, plus digitales et désormais au cœur du financement de l’économie nationale et régionale.
Lorsque vous observez aujourd’hui la place financière de Dakar, notamment son système bancaire, quels éléments vous paraissent les plus marquants ?
La place financière de Dakar est aujourd’hui l’une des plus dynamiques de la sous-région et des plus attractives avec le plus grand nombre de banques et établissements financiers à caractère bancaire de l’UEMOA (33 au total). Ce dynamisme se reflète à travers un secteur financier en constant essor. Trois marqueurs ressortent nettement.
D’abord, la mise en production pétrolière et gazière. Avec la première huile extraite à Sangomar en juin 2024, l’économie sénégalaise a franchi une étape historique. Cette évolution a entraîné un rebond du PIB au troisième trimestre 2024 et ouvre des perspectives nouvelles pour le financement de projets d’envergure, notamment dans les infrastructures et les chaînes de valeur locales. Ce qui se traduit pour les banques par plus de besoins de financement de chaînes de valeur et d’infrastructures.
Ensuite, le lancement prévu du système de paiement instantané interopérable (PI-SPI) de la BCEAO en septembre 2025 constitue une avancée majeure. Après une décennie de diffusion des services financiers mobiles, cette interopérabilité devrait fluidifier les transactions et renforcer l’inclusion financière. Elle devrait également contribuer à augmenter la masse fiduciaire en circulation, en élargissant l’accès aux services financiers formels. À terme, cette dynamique offrira aux banques davantage d’autonomie pour accroître significativement les crédits à l’économie et jouer pleinement leur rôle d’intermédiaires financiers.
À ces tendances s’ajoutent deux signaux structurels. La robustesse sectorielle qui se confirme au niveau UEMOA en 2024, total de bilan +9,3 %, crédits +5,6 %, dépôts +7,2 %, ce qui reflète des bilans bancaires plus profonds et une intermédiation active portée par la capitale dakaroise. Et le relèvement du capital minimum à 20 milliards de FCFA d’ici 2027 qui créera sans équivoque un mouvement de consolidation/renforcement des fonds propres et rendra l’écosystème plus solide et plus compétitif.
Enfin, le retour de la confiance des investisseurs, bien que réel, doit toutefois être interprété avec nuance. L’émission d’un eurobond de 750 millions de dollars en juin 2024, suivie d’une obligation publique domestique sursouscrite à 364 milliards de FCFA en juillet 2025, témoigne d’un regain d’intérêt pour la signature du Sénégal. Mais cette confiance reste fragile, car elle s’inscrit dans un contexte marqué par un endettement public élevé et des équilibres macroéconomiques sous tension. Les banques sénégalaises évoluent donc dans un environnement porteur, mais qui exige une gestion prudente et une capacité d’anticipation renforcée.
Le rapport annuel 2024 de la Commission bancaire de l’UMOA fait état de bonnes performances du secteur bancaire sénégalais. Comment interprétez-vous ces résultats et que révèlent-ils, selon vous, de l’évolution du secteur ?
Ces résultats confirment d’abord la résilience et la solidité du secteur bancaire sénégalais dans un environnement international marqué par des tensions de liquidité et une inflation persistante. En 2024, la Commission bancaire souligne que le total de bilan du secteur bancaire sénégalais a progressé de 9,3 %, que les crédits à l’économie ont augmenté de 5,6 % et que les dépôts ont crû de 7,2 %, traduisant à la fois la confiance des ménages et des entreprises et la capacité des banques à mobiliser l’épargne pour financer l’économie
Ces chiffres révèlent aussi une maturation progressive du système bancaire : amélioration des dispositifs de gouvernance, meilleure maîtrise des risques et montée en compétence en matière de conformité et de régulation. La rentabilité consolidée des banques, dans un contexte de forte concurrence, témoigne d’une efficacité opérationnelle accrue et d’un recours croissant aux leviers digitaux pour optimiser les coûts.
Au-delà des indicateurs financiers, il faut lire dans ces performances une transformation structurelle. Les banques sénégalaises ne se limitent plus à un rôle traditionnel d’intermédiation : elles deviennent des catalyseurs de développement, capables de financer les grands projets d’infrastructures, d’accompagner les chaînes de valeur agricole, et d’intégrer les TPE/PME dans le circuit formel grâce au digital.
La mise en service prochaine de la Plateforme interopérable du système de paiement instantané dans l’UEMOA est présentée comme une avancée majeure. Quels impacts économiques et sociaux peut-on en attendre au Sénégal et dans l’UEMOA?
La mise en service de la plateforme interopérable du système de paiement instantané constitue une avancée historique pour notre Union monétaire. Sur le plan économique, elle va transformer la manière dont circulent les flux financiers. Les transactions, qu’elles soient domestiques ou transfrontalières, seront désormais instantanées, sécurisées et à moindre coût ; ce qui facilitera les échanges commerciaux. Cette fluidité renforcera également la confiance dans le système financier régional et contribuera à formaliser une partie des transactions souvent réalisées en dehors des circuits bancaires.
Sur le plan social, les impacts seront tout aussi déterminants. En rendant les services financiers plus accessibles, rapides et abordables, cette innovation va favoriser l’inclusion financière de segments encore marginalisés de la population : populations rurales, travailleurs informels, jeunes et femmes entrepreneurs. Elle permettra aussi d’élargir l’usage du digital dans la vie quotidienne des ménages.
Enfin, à une échelle plus large, cette interopérabilité conforte l’image de l’UEMOA comme un espace bancaire intégré, moderne et innovant, capable de se hisser au niveau des standards internationaux. Pour le Sénégal, où la bancarisation est encore en construction mais où l’adoption du mobile money est massive, c’est une formidable opportunité de consolider sa position de hub régional et d’accélérer l’ancrage d’une véritable culture du paiement digital.
Cette initiative ne constitue-t-elle pas une menace pour l’avenir des Fintechs et du mobile Money au Sénégal ?
Je ne perçois pas l’interopérabilité comme une menace, mais plutôt comme un accélérateur d’opportunités pour l’ensemble des acteurs de l’écosystème. En offrant une infrastructure commune, robuste et sécurisée, la plateforme de paiement instantané crée un cadre plus équitable et plus transparent. Les Fintechs et les opérateurs de mobile money pourront s’appuyer sur ce socle pour développer des services à plus forte valeur ajoutée : micro-épargne, micro-crédit, assurance digitale, solutions pour les commerçants et les diasporas. Cette innovation favorise une complémentarité accrue entre banques, Fintechs et opérateurs télécoms.
Une nouvelle loi réglementaire introduit des réformes dans le secteur bancaire. Quelles sont, selon vous, les principales avancées et les défis que soulève ce nouveau cadre ?
Cette réforme marque un tournant pour le secteur bancaire de l’UEMOA. Elle traduit la volonté de la BCEAO et des autorités communautaires d’aligner nos pratiques sur les meilleurs standards internationaux, tout en accompagnant la transformation digitale.
Parmi les avancées majeures, nous pouvons noter :
– Le renforcement de la gouvernance et de la transparence, avec des obligations accrues en matière de communication financière, de gestion des risques et de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme.
– La modernisation du cadre juridique pour les innovations digitales : les Fintechs et établissements de paiement disposent désormais de règles précises pour l’octroi d’agréments, la sécurisation des transactions et la protection des données clients.
– L’accent mis sur la protection du consommateur : plafonnement et encadrement de certains frais, obligation de meilleure information des clients, mécanismes de règlement des litiges plus accessibles.
– La convergence vers les normes de Bâle II et III, avec une surveillance accrue des ratios de solvabilité et de liquidité, afin de consolider la solidité financière du système.
Ces progrès s’accompagnent toutefois de défis importants. L’équilibre entre innovation et régulation : il faut préserver l’agilité des acteurs du digital sans compromettre la stabilité du système.
Elle pose aussi des défis importants. Le plus structurant concerne la capacité des banques à continuer à financer les PME et surtout à accroître les crédits qui leur sont destinés, alors même que les exigences prudentielles se renforcent. Ce segment, pourtant vital pour l’économie, reste le plus vulnérable. La réussite de cette réforme dépendra donc de notre capacité collective à conjuguer rigueur réglementaire et accompagnement du tissu productif.
L’échéance de 2027 a été fixée pour le relèvement du capital social minimum des banques à 20 milliards de FCFA. Ce délai vous semble-t-il suffisant pour permettre aux établissements de se conformer, et quelles en pourraient être les implications pour le secteur ?
L’échéance de 2027 est à la fois ambitieuse et réaliste. Elle laisse aux établissements un délai de quatre ans pour mobiliser les ressources nécessaires ; ce qui, pour la plupart des banques, est un horizon atteignable grâce à la rétention de résultats, aux augmentations de capital et à l’appel éventuel à de nouveaux actionnaires. Pour les établissements plus modestes, ce délai constitue un défi significatif, mais il peut être l’occasion de repenser leurs modèles économiques et d’envisager des partenariats ou des fusions.
Les implications de cette mesure sont multiples. D’un côté, elle va contribuer à consolider le secteur bancaire, en renforçant la solidité financière des établissements et leur capacité à absorber les chocs. Elle améliorera aussi la crédibilité de nos banques auprès des investisseurs et partenaires internationaux et facilitera leur participation au financement de projets d’envergure, notamment dans les secteurs stratégiques comme les infrastructures, l’énergie et les chaînes de valeur agricoles, ainsi que le renforcement des moyens pour rester en conformité avec les règles et ratios prudentiels en vigueur.
D’un autre côté, ce relèvement du capital minimum pourrait conduire à une restructuration du paysage bancaire.
À terme, nous évoluerons donc vers un secteur composé d’acteurs moins nombreux mais plus solides, capables de soutenir durablement la croissance économique et d’innover dans un environnement de plus en plus compétitif.