jeudi, septembre 11, 2025

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L’Afrique face à l’éthique de la dette : quand les marchés jugent la sincérité (Tribune)

Dans un monde où la finance structure autant les économies, l’Afrique aujourd’hui fait face à une double exigence, deux piliers sans lesquels aucun projet collectif ne peut durer : se conformer à une éthique financière et nourrir la confiance!

La question de la dette publique et de sa gestion transparente n’est plus seulement une affaire de ratios ou de conditionnalités. Elle est devenue une épreuve d’éthique et de confiance, car la finance, sans confiance, n’est qu’un calcul abstrait, et cette confiance n’existe vraiment que lorsqu’elle repose sur une éthique prouvée.

C’est à cette jonction que les dirigeants devront faire face : transformer la rigueur budgétaire en un acte de responsabilité , où chaque décision financière devient non seulement un choix économique, mais aussi un engagement moral envers les générations présentes et futures.

Dans ce contexte, le rôle de l’accompagnant, qu’il soit coach ou facilitateur, n’est pas de livrer une analyse économique, mais d’interroger les fondements humains et éthiques de l’action publique : comment les dirigeants incarnent-ils la confiance ? Comment la parole donnée devient-elle un acte politique ? Et comment, la gouvernance peut-elle redevenir une promesse tenue envers les peuples ?

Les récentes secousses liées à la révélation de dettes cachées au Sénégal, après celles qui ont secoué en 2016 le Mozambique avec ses fameux tuna bonds, montrent que les États africains ne sont plus jugés seulement sur leur capacité à emprunter et à rembourser, mais sur leur capacité à dire vrai. Or, c’est ici que s’invite le dilemme fondamental de Max Weber : l’éthique de conviction, qui pousse à affirmer la vérité coûte que coûte, et l’éthique de responsabilité, qui impose d’assumer les conséquences concrètes de cette vérité sur la stabilité sociale et économique.

Ce dilemme n’est pas une construction de l’esprit : il s’incarne dans la vie de tout dirigeant, qu’il soit chef d’État ou chef d’entreprise. Faut-il, par exemple, annoncer une restructuration à fort impact sur l’emploi pour respecter la sincérité de sa vision, au risque d’inquiéter ses équipes et ses partenaires ? Ou faut-il temporiser, protéger, garder pour soi, au risque d’entretenir une illusion qui un jour éclatera ? Cette tension entre conviction et responsabilité n’est pas un obstacle mais un espace de réflexion ou l’intention qui sous-tend la décision importe autant que la décision elle-même : s’agit-il d’un geste populiste, dicté par la volonté d’impressionner et de sanctionner ou d’un choix responsable, orienté vers la transparence la reddition des comptes et la création des conditions d’une meilleure négociation à l’avenir ?

Depuis des décennies, les chiffres de la dette africaine racontaient une histoire économique, ils reflétaient les niveaux d’endettement, de croissance, de balances commerciales, aujourd’hui, elle ressemble davantage à un miroir : elle reflète la confiance accordée aux dirigeants et la responsabilité qu’ils assument devant leurs peuples et devant le monde. C’est surtout une histoire de confiance et de responsabilité politique!

La posture éthique des dirigeants : entre sincérité et responsabilité

Parler de dette cachée, c’est aussi parler de la posture éthique des dirigeants africains.

Gouverner, ce n’est pas seulement gérer des chiffres, c’est incarner une ligne de conduite. La véritable question n’est pas seulement “combien devons-nous ?”, mais aussi “quelle relation voulons-nous construire avec ceux qui nous font confiance ?”.

Un dirigeant qui choisit le silence protège peut-être son image immédiate, mais affaiblit son capital moral. Or, en Afrique comme ailleurs, les citoyens n’attendent pas de leurs dirigeants une perfection impossible ; ils attendent une sincérité éprouvée, une capacité à reconnaître les erreurs et à en tirer des leçons. L’éthique financière ne peut pas se limiter à la discipline imposée de l’extérieur ; elle doit devenir une discipline intérieure, une posture.

Cette posture repose sur trois piliers : la sincérité, la responsabilité et la constance. Mais elle implique aussi une lucidité : il existe des moments où dire toute la vérité, sans préparation, peut affoler les investisseurs comme les citoyens, provoquer des paniques inutiles et aggraver la crise.

La posture juste n’est donc ni le silence coupable ni la confession brutale. Elle consiste à traiter directement avec les institutions financières FMI, Banque mondiale, banques régionales pour sécuriser des solutions techniques, tout en préparant le terrain d’une communication publique progressive.

Dans cette approche, ce n’est pas l’aveu immédiat qui fait foi, mais la capacité à accompagner la vérité d’un plan crédible. Les marchés comme les citoyens jugent moins la faute passée que la trajectoire de réparation. Ce pragmatisme explique que, lorsqu’un État démontre rigueur et constance après une crise de confiance, les investisseurs finissent par tourner la page. Prenons l’exemple du Ghana qui, en 2022, le gouvernement a reconnu l’insoutenabilité de sa dette et a ouvert un dialogue direct avec ses créanciers. Ce geste douloureux mais courageux relevait d’une

éthique de la responsabilité : assumer la vérité, malgré le coût immédiat, pour restaurer à terme la crédibilité. À l’inverse, le Mozambique, en dissimulant sa dette cachée, a incarné le contraire : une parole rompue, un mensonge qui a détruit la confiance pendant des années .

La finalité n’est pas de masquer la vérité, mais de l’introduire avec discernement, de façon séquencée, en l’accompagnant de pistes de solutions car une vérité énoncée sans perspective enferme, tandis qu’une vérité progressive, soutenue par des chemins d’action, ouvre la voie à la transformation.

De la crise à la confiance : un chemin de coaching

L’opacité n’est plus une stratégie viable. Elle coûte plus cher que la vérité, car elle entretient la suspicion, nourrit les primes de risque et installe un doute durable. Les marchés n’ont pas peur de la dette, ils ont peur du silence. Ils ne sanctionnent pas un chiffre élevé, mais une incohérence, un mensonge ou une donnée qui change au gré des saisons.

 À l’inverse, les expériences du Bénin et du Rwanda rappellent que la clarté, même imparfaite, est récompensée. Le Bénin, en publiant avec rigueur ses émissions obligataires adossées aux objectifs de développement durable, a conquis un espace de crédibilité inédit sur les marchés. Le Rwanda, en mettant en avant un reporting précis de ses projets financés, a su faire de la transparence un outil de diplomatie économique.

En langage de coaching, le problème n’est donc pas la dette cachée, mais ce qu’elle révèle : une difficulté à transformer les contraintes externes en apprentissage interne. L’accompagnement des dirigeants consiste précisément à déplacer leur regard : ne plus chercher à sauver l’image, mais à générer un récit de confiance.

Conviction, Responsabilité et Confiance

La dette cachée n’est pas seulement une faute comptable. C’est un miroir tendu à nos sociétés. Allons-nous choisir la facilité de l’omission, ou la dignité de la vérité ? Allons-nous sacrifier le court terme pour préserver l’apparence, ou investir dans la confiance, ce capital immatériel qui vaut plus que l’argent ? Il y a, au cœur de ce dilemme, un enseignement de leadership universel. L’éthique de la conviction sans responsabilité devient aveuglement. L’éthique de la responsabilité sans conviction devient cynisme. Mais leur alliance, lorsqu’elle est assumée avec méthode et pédagogie, donne naissance à une gouvernance adulte, crédible et respectée.

Au final, l’Afrique n’a pas à craindre la vérité. Elle a à craindre de s’en détourner. Car la vérité (même brutale) finit toujours par se transformer en confiance lorsqu’elle est portée par une vision et un rythme justes. Et c’est dans cette confiance, plus que dans toute discipline imposée de l’extérieur que se joue l’avenir de sa souveraineté économique.

Par Fatima Diop Mbaye, Leadership, Coaching exécutif & psychologie transformatrice; Fondatrice du cabinet Ubuntu Executive Coaching

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