Avec le soutien du Fonds d’Innovation pour le Développement, le programme de soutien aux petites et moyennes entreprises (PME) déployé par African Management Institute (AMI) au Sénégal a permis de renforcer les compétences de 100 entrepreneurs sur les thématiques de planification stratégique; de gestion des talents et des opérations, marketing et connaissance des marchés et en valorisation de produits. Mathilde Lopez, responsable de programme à African Management Institute, revient en détail sur la mise en place de ce projet, le bilan et les perspectives.
Parmi les cinq initiatives appuyées par le Fonds d’Innovation pour le Développement au Sénégal, on peut citer le programme « Accélère », en soutien aux Petites et Moyennes Entreprises (PME) déployé par African Management Institute (AMI). Quels ont été les objectifs visés dans le cadre du projet « Croissance PME » ?
Il s’agissait de tester la réplicabilité du programme phare de renforcement de capacités d’AMI – Grow Your Business – dans le contexte sénégalais via l’accompagnement de 100 entrepreneurs actifs dans 4 secteurs différents (tourisme, agriculture, commerce de détail et énergies renouvelables) et présents en zone urbaine et rurale. Au cours du programme ainsi que durant les 12 mois qui ont suivi, nous avons mesuré la progression des entreprises en termes d’augmentation des revenus, de création d’emploi et de mise en oeuvre de nouvelles pratiques commerciales .
L’innovation a été au cœur du déploiement de ce projet avec l’adoption d’une approche de la formation dénommée « Grow Your Business » (« Développez votre entreprise ») mise au point par AMI. Qu’est ce qui fonde cette méthodologie ?
Cette méthodologie d’apprentissage est basée sur une approche hybride (sessions en ligne et en présentiel, animées par des experts) ; l’apprentissage par la pratique via nos exercices en ligne et, au quotidien en entreprise, le partage des connaissances entre pairs avec des sessions de réseautage. Le FID nous a fait confiance parce qu’il souhaite justement tester cette innovation, à savoir le programme « Accélère », dans le cadre du développement économique du Sénégal. L’idée est de renforcer les capacités entrepreneuriales des MPME — Micro, Petites et Moyennes Entreprises — grâce à des programmes centrés sur la pratique. L’objectif était donc d’accompagner 100 entreprises dans différentes régions du Sénégal et d’observer leur évolution sur une période d’un an.
Nous leur avons proposé ce programme, qui se concentre sur plusieurs volets : connaître ses clients et poser les bases du marketing, comprendre ses finances, gérer ses talents — c’est à dire ses employés —, maîtriser ses opérations et la gestion des stocks. Enfin, un dernier point très important, c’’est la stratégie et la planification qui consiste à définir des objectifs de croissance, planifier l’avenir et anticiper.
Ce sont là les cinq éléments fondamentaux du programme « Accélère » sur lesquels les 100 entrepreneurs ont travaillé.
Qu’est-ce que African Management Institute (AMI) a développé comme activités auprès des entrepreneurs retenus dans le projet Croissance PME ?
La force de nos programmes, c’est leur aspect pratique. Ils combinent des modules digitaux et des sessions en présentiel avec de nombreux outils pratiques et téléchargeables, afin de s’adapter aux différents emplois du temps et de permettre un déploiement qui ne se limite pas aux zones urbaines. En effet, de nombreuses initiatives se concentrent principalement à Dakar, Thiès et parfois Kaolack, ce qui laisse de côté une grande partie de l’entrepreneuriat rural. Grâce à ce format hybride et nos contenus accessibles à tout moment, nous pouvons toucher un plus large éventail d’entrepreneurs .
Après ces temps collectifs — apprentissage encadré puis apprentissage par les pairs — les participants disposent de tout le mois pour approfondir les notions vues grâce à nos outils et ressources en ligne : exercices pratiques, vidéos, supports pédagogiques, etc.
Ces outils sont conçus et mis en place par notre équipe « produit », sur la base de notre travail de recherche et développement. Tous nos contenus ont été développés en partenariat avec des experts du continent et sont adaptés aux enjeux des pays dans lesquels nous opérons. AMI place la R&D au cœur de sa démarche : c’est d’ailleurs pour cette raison que le FID a choisi de collaborer avec nous. Nous nous appuyons sur des résultats empiriques pour créer des outils et des programmes réellement adaptés à l’écosystème local.
A l’heure actuelle combien de PME ont été effectivement formées? Et dans quels secteurs?
Nous avons formé 100 entrepreneurs dans quatre secteurs : l’agriculture, le commerce de détail (retail), le tourisme et les énergies renouvelables. Les formations se sont déroulées dans les régions de Dakar et de Saint-Louis. Nous avons ainsi constitué une cohorte à Saint-Louis, qui comprenait également des participants venant de Podor et de Touba, ainsi qu’une cohorte à Dakar, qui rassemblait des entrepreneurs de la Petite Côte, de Thiès et de Kaolack.
Comment mesurez-vous les résultats actuellement? Et /ou envisagez-vous de le faire à l’avenir?
Notre département « Monitoring & Evaluation » est chargé de mettre en place un plan d’impact avant la mise en oeuvre des programmes, de suivre notre et d’en mesurer l’impact après l’intervention. Un plan de suivi est également prévu, avec des prises de contact régulières auprès des entrepreneurs. Nous leur envoyons notamment des sondages et des questionnaires pour mesurer les différents indicateurs.
Concrètement, nous commençons par créer une base de données : à chaque lancement de programme, nous posons des questions aux entrepreneurs concernés. Il s’agit, par exemple, de questions quantitatives : combien d’employés avez-vous ? Quel est votre chiffre d’affaires cette année et celui de l’année dernière ? Quels sont vos objectifs de croissance ? Nous mettons en place une série d’Indicateurs de performance KPI avec le nombre d’emplois crées en 12 mois, l’augmentation des revenus, le taux de survie des entreprises.
Ainsi, on constate que la grande majorité des participants, soit 91 %, déclarent avoir mis en place un changement dans leur façon de gérer leur entreprise ou dans le produit qu’ils proposent.
Et aujourd’hui, quels sont les premiers résultats issus des enquêtes ? Comment les entrepreneurs ont-ils réagi ?
Oui, nous avons enregistré des résultats positifs. D’après nos mesures sur l’ensemble des programmes délivrés par AMI en 2024, les entreprises africaines que nous avons accompagnées ont réalisé une croissance de 17% et une augmentation de l’emploi de 18%. Et 85 % des emplois directs créés étaient pour les femmes et 64 % des emplois ont été créés par des femmes.
Pour le programme « Accélère » soutenu par le FID, 73 % des entrepreneurs qui ont répondu aux sondages et participé aux programmes reconnaissent avoir constaté des progrès dans leur activité et l’atteinte de leurs objectifs. Ensuite, 86 % des participants déclarent se sentir plus confiants dans leur rôle de leader et plus à l’aise pour gérer leur entreprise et la faire croître. Nous constatons également que 100 % des entrepreneurs accompagnés avec « Accélère » sont toujours en activité, et 91 d’entre eux ont mis en place un changement au sein de leur entreprise. Concrètement, après avoir suivi le programme, certains ont modifié leurs prix, d’autres leur plan, leur stratégie ou encore leurs produits. Ce sont les résultats dont nous disposons pour le moment
Et est-ce qu’il y avait plus de femmes ou bien d’hommes ?
Pour le programme « Accélère », nous avions un objectif ambitieux en faveur des femmes et des jeunes. Ainsi, 62 % des entreprises accompagnées étaient dirigées par des femmes, alors que notre moyenne habituelle est plutôt autour de 50 %. Ce programme a donc rencontré un réel succès sur ce point. Par ailleurs, 67 % des participants avaient moins de 40 ans. Enfin, 66 % d’entre eux évoluaient dans l’agrobusiness et 29 % étaient basés dans des zones considérées comme rurales.
Quels sont les défis auxquels vous avez fait face ?
L’un de nos défis était l’accès au digital. Nous voulions recruter dans plusieurs zones du Sénégal, y compris en zones rurales, et on sait que l’Internet y est coûteux. Cela posait donc la question de la capacité de nos entrepreneurs à se connecter sur de longues périodes. Il a aussi fallu prendre le temps de les accompagner. Nous avons organisé des sessions pour les aider à se connecter à la plateforme, à bien télécharger les outils, et à répondre aux exercices. Je dirais donc que le digital a été l’un des principaux défis rencontrés.
Aujourd’hui, quelles sont les perspectives qui se dégagent dans ce projet ?
Nous espérons pouvoir débloquer prochainement de nouveaux partenariats avec le FID, qui nous fait confiance et croit en notre méthodologie, surtout au vu des résultats positifs que nous observons. Nous adaptons déjà notre innovation pour atteindre plus de zones rurales et de petites entreprises, tout en commençant à intégrer notre méthodologie dans les systèmes publics et les gouvernements.
Au Sénégal, un consortium Sénégal Accompagnement se met en place pour créer des bases solides au renforcement de capacités des MPMES et étendre nos actions. Au Rwanda, par exemple, nous sélectionnons et formons plus de 200 « Growth Guides» pour accompagner des micro-entreprises à travers tout le pays, avec pour objectif d’atteindre jusqu’à 90 000 Micro, Petites et Moyennes Entreprises(MPME).
En partenariat avec la Private Sector Foundation of Uganda, nous avons élaboré des normes pour les structures d’accompagnement des MPME, et formé plus de 200 prestataires à l’échelle nationale, améliorant ainsi l’accompagnement de plus de 45 000 PME. Ces normes sont en cours d’accréditation et sont soutenues par le gouvernement. Nous travaillons actuellement avec la Fondation Argidius pour approfondir ce travail. Au Sénégal, au Bénin et en Côte d’Ivoire, nous avons réalisé une cartographie et une segmentation des structures d’accompagnement des MPME, et nous venons de débuter leur formation. Nous souhaitons continuer à démultiplier notre impact via un soutien direct aux PME à grande échelle et un soutien indirect via les gouvernements pour un changement systémique.