Comment analysez-vous la dégradation de la notation souveraine du Sénégal par Moody’s et Standard and Poors ? Quelles peuvent être les conséquences ?

Nous avions, par moult manières, alerté sur les conséquences des actes et discours politiques posés ces dernières années par l’ancien et le nouveau régime. Depuis avril 2022, j’alertais sur les répercussions que les crises politiques traversées auront sur la note souveraine et la perception des investisseurs. Il faut savoir que tout est question d’image et de perception sur le marché financier, hormis les aspects d’analyse de données économiques ou macroéconomiques. La finance comportementale étudie et analyse profondément ces informations, actions et réactions qui ont souvent des influences significatives sur les décisions des investisseurs ou acteurs des marchés financiers.

Nos gouvernants doivent davantage faire attention à ces sujets ou prêter oreille à ceux-là qui alertent fréquemment sur les conséquences de telles dérives. Retenons simplement que la dégradation de la notation souveraine du Sénégal par Moody’s et Standard & Poor’s indique un affaiblissement de la confiance des investisseurs dans la capacité du pays à honorer ses dettes. Cette dégradation vient suite aux déclarations du Premier ministre et de son gouvernement sur l’état des finances et les potentielles falsifications de données. Certes, un exercice de vérité salutaire, mais avec de lourdes conséquences, dont cette dégradation.

Maintenant, la question est de savoir quelles ont été les décisions prises pour éviter de pareils scenarii dans le futur, si les garde-fous ont été renforcés et si les dépenses de l’État seront sérieusement rationalisées pour réduire, au maximum, le déficit (à titre d’exemple vente symbolique de l’avion présidentielle, réduire au maximum les voyages d’états du président, fusion des agences de l’État …). Voici d’innombrables questions auxquelles nous aurons sans doute les réponses après les élections législatives et lorsque le budget de 2025 sera voté.

Cependant, les conséquences seront immédiatement visibles et le dernier emprunt de l’État du Sénégal en est une preuve. Comme expliqué, la baisse de notation signale aux investisseurs que le risque de défaut de paiement du Sénégal a augmenté et peut entraîner chez eux une baisse de la confiance concernant la capacité de l’économie sénégalaise, décourager les investisseurs au point qu’ils préfèreront plus investir chez nos voisins (Côte d’Ivoire, Bénin, etc.). Cela pourrait entraîner une augmentation des coûts de financement pour le pays, car les investisseurs exigeront plus des rendements, donc des taux d’intérêts plus élevés pour compenser le risque perçu.

 Que vous suggèrent les dernières notations du Bénin et de la Côte d’Ivoire ? 

Aujourd’hui, en matière d’investissements directs étrangers, la tête du peloton en Afrique de l’Ouest est occupée par la Côte d’Ivoire, le Sénégal et le Bénin. Mais il est aisé de constater que la Côte d’Ivoire tient le lead et les États du Sénégal et du Bénin suivent. La Côte d’Ivoire a su se démarquer et être classée à la 9e place par le FMI dans la liste des 10 premières économies africaines. De rigoureuses et sérieuses politiques publiques ont donné comme résultat les dernières notations du Bénin et de la Côte d’Ivoire par les agences de notation financière. Cela traduit une  situation économique correcte et une stabilité politique chez la perception des investisseurs internationaux. Pour le Bénin, ces cinq dernières années, il a été positivement noté par plusieurs agences, notamment en raison de sa stabilité politique relative et de sa croissance économique stable. En dernier lieu, on peut noter la rehausse de sa note par l’Agence africaine Bloomfield Investment, qui note et évalue en se basant sur la devise locale.

Patrice Talon et son gouvernement ont entrepris des réformes pour améliorer le climat d’investissement et diversifier l’économie, surtout dans des secteurs comme l’agriculture et l’énergie. Il a beaucoup lutté contre la corruption massive qui gangrénait le pays et entamé une stratégie d’organisation et formalisation des acteurs économiques qui sont dans l’informel. Toutefois, des défis demeurent, notamment un endettement public croissant, un taux de pauvreté élevé et une dépendance au commerce avec le Nigéria, qui l’expose aux risques externes.

En ce qui concerne, la Côte d’Ivoire, elle  bénéficie généralement d’une notation relativement favorable parmi les pays de l’Afrique de l’Ouest, soutenue par une forte croissance économique et des investissements importants dans les infrastructures. La Côte d’Ivoire a un véritable potentiel économique. Les tensions politiques sont souvent les causes de ralentissement et de destruction de cette lancée, mais elle arrive toujours à redorer l’image de l’économie du pays et avoir une bonne perception chez les investisseurs. La preuve, malgré le fait qu’il y a 13 ans, le pays était dans un gouffre économique et politique notoire.

Aujourd’hui, l’une des plus grandes banques d’investissement au monde, en l’occurrence JP Morgan, a décidé d’installer ses bureaux à Abidjan au détriment de Dakar ou Cotonou. Ceci est assez sympathique et doit être un signal pour les dirigeants des autres États ouest-africains. Fort de ce constat, la Côte d’Ivoire doit minutieusement encadrer les prochaines échéances électorales, car certains risques subsistent et des tensions politiques intermittentes entacheraient tout le travail mené jusqu’ici. Il est impératif aussi de trouver une solution pérenne aux défis socio-économiques liés à la pauvreté et au chômage ainsi qu’à la forte dépendance à l’exportation de produits de base (comme le cacao), l’exposant à la forte volatilité du marché des matières premières. 

Quelle lecture faites-vous de l’émission d’un montant de 300 millions de dollars du Sénégal sur le marché international ?

Si nous avons un endettement de 300 millions de dollars pour 6,63% en face d’un État comme le Bénin qui est derrière le Sénégal et qui a pu faire un emprunt obligataire sur 14 ans, à travers un montant de 750 millions de dollars à un taux de 7%, cela prouve que l’économie sénégalaise est en forte chute. C’est un signal assez symptomatique. Et ce n’est pas une bonne chose. Nous prenons également l’exemple de la Côte d’Ivoire qui avait emprunté près de 2,6 milliards de dollars à un taux de 6% sur 7 ans. Aujourd’hui, si l’État du Sénégal se glorifie de faire un emprunt de 300 millions de dollars, JP Morgan est l’intermédiaire, il ne pourra pas nécessairement un taux plus bas car le Sénégal est dans un gouffre économique. Maintenant pour plus de transparence, l’État gagnerait à publier les taux de commission. 

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