À l’approche de l’échéance de 2027 fixée par la BCEAO pour le relèvement du capital minimum des banques, le secteur bancaire sénégalais se prépare à une mutation profonde. Entre exigences de consolidation, essor du paiement instantané et durcissement réglementaire, les établissements doivent renforcer leur solidité tout en accélérant leur digitalisation. Avec un bénéfice net agrégé de 205 milliards de FCFA en 2024 et un total bilan de près de 14 000 milliards, le secteur affiche une résilience notable, mais reste confronté à des défis de conformité et de gouvernance.
Alors que l’année 2027 marque l’échéance fixée par la BCEAO pour le relèvement du capital social des banques, Moussa Sylla, spécialiste en conformité bancaire, estime ce délai réaliste. « La Banque centrale et la Commission bancaire ont exigé des plans d’action détaillés ; ce qui permet d’anticiper les difficultés », souligne-t-il. L’expert rappelle que la région n’en est pas à son premier relèvement. Avant 2008, le capital minimum des banques de l’UEMOA était de 1 milliard de FCFA, porté à 5 milliards, puis à 10 milliards en 2010.
L’objectif est de bâtir des établissements plus robustes, capables de financer l’économie et de résister aux chocs. Déjà, en 2011, Abdoul Mbaye, ancien dirigeant de banque, pointait « l’émiettement des acteurs » comme une faiblesse du système et plaidait pour une consolidation.
Cette transformation s’inscrit dans un contexte d’innovation accélérée. La BCEAO a lancé le système de paiement instantané et d’interopérabilité, une avancée décisive pour une région où le taux de bancarisation strict reste limité à 24,3 % en 2022, contre 70,9 % si l’on inclut la microfinance et la monnaie électronique. L’ambition est de porter l’accès aux services financiers adaptés et abordables à 90 % de la population adulte. Selon M. Sylla, « les coûts réduits, voire gratuits, devraient accélérer l’adoption, après que les frais bancaires aient longtemps freiné la bancarisation ».
Mais cette révolution entraîne aussi des risques. « Avec l’instantanéité, le risque de fraude augmente », prévient le spécialiste en conformité bancaire. Le blanchiment de capitaux constitue un défi majeur, avec la possibilité de multiplier les virements en un temps réduit pour dissimuler l’origine des fonds. La conformité devra donc intégrer de nouveaux scénarios de surveillance, notamment sur les mouvements rapides de fonds.
Sur le plan réglementaire, l’adoption récente de la nouvelle loi bancaire constitue une étape décisive. Plus dense que la précédente à savoir 115 articles en 2008 contre 258 aujourd’hui, elle reflète la complexification du secteur, marqué par l’émergence de la finance islamique, de la monnaie électronique et des établissements de paiement. « La fonction conformité devient plus que jamais centrale, afin de garantir la connaissance et le respect de la réglementation », insiste Moussa Sylla. La loi introduit par ailleurs une meilleure protection des usagers, avec un titre et trois chapitres qui leur sont spécifiquement consacrés.
Le système bancaire sénégalais affiche des résultats solides. En 2024, les 29 banques de la place ont dégagé un bénéfice net agrégé de 205 milliards de FCFA, en progression de 2,5 % sur un an, tandis que le total bilan a atteint 13 940 milliards de FCFA, en hausse de 8,1 %. Avec 19,3 % du marché régional en termes d’actifs, le Sénégal se positionne au deuxième rang derrière la Côte d’Ivoire. Toutefois, des fragilités persistent.
Le taux de dégradation du portefeuille, à 9,4 %, reste supérieur à la moyenne de l’UEMOA (8,5 %). Plus inquiétant encore, le rapport 2024 de la Commission bancaire révèle que 4 des 10 établissements sanctionnés dans l’Union sont basés au Sénégal.
« Les fonctions de contrôle comme la Conformité, les Risques et l’Audit doivent disposer de ressources humaines et matérielles renforcées », plaide M. Sylla. À l’en croire, au-delà des performances, l’enjeu est de consolider la solidité du secteur, dans un environnement où fintechs et établissements de monnaie électronique poussent les banques à se réinventer.
2027, une échéance clé pour les banques de l’UEMOA
Le relèvement du capital social minimum fixé par la BCEAO doit entrer en vigueur en 2027. Moussa Sylla estime ce délai réaliste, compte tenu de l’expérience passée et des mécanismes de suivi mis en place. L’histoire montre que la région a déjà franchi plusieurs étapes. De 1 milliard de FCFA avant 2008, le capital minimum est passé à 5 milliards, puis à 10 milliards en 2010. « Ce relèvement permettra aux banques d’être mieux armées face aux crises et plus aptes à financer l’économie », explique-t-il. Au-delà d’une exigence réglementaire, cette évolution répond à un impératif structurel, celui de réduire l’émiettement du secteur et bâtir des institutions plus solides et compétitives.
Paiement instantané : progrès et vigilance
Avec un taux de bancarisation strict de 24,3 % en 2022, mais 70,9 % si l’on inclut la microfinance et la monnaie électronique, l’UEMOA mise sur le paiement instantané et l’interopérabilité pour atteindre 90 % d’accès aux services financiers d’ici peu. Les frais réduits voire gratuits devraient lever un frein majeur à l’inclusion financière. Cependant, l’instantanéité accroît aussi les risques de fraude et de blanchiment de capitaux. « Les outils de monitoring doivent intégrer des scénarios adaptés, comme les mouvements rapides de fonds, afin de prévenir les abus », insiste Moussa Sylla. Pour l’expert, la conformité sera la clé de voûte de cette révolution.


