Dans le monde rigoureux et codifié de la finance, il est rare de croiser des esprits qui conjuguent technicité, intuition et méthode. Seynabou Dia fait partie de ces exceptions, ces figures qui refusent les cadres trop rigides et préfèrent façonner leur propre trajectoire, dictée par une ambition plus grande : créer des solutions financières adaptées aux réalités locales. Anticonformiste par nature, visionnaire par essence, elle s’est construite à la croisée du pragmatisme financier, concevant des solutions là où d’autres voyaient des contraintes.
Derrière son allure élégante, se cache une architecte des possibles, une financial designer comme elle aime à se définir. Loin du conformisme des couloirs feutrés de la finance traditionnelle, elle a choisi d’écrire sa propre partition : celle d’une finance inclusive, conçue sur mesure pour répondre aux besoins des entrepreneurs souvent laissés en marge du système classique.
Son itinéraire commence dans la rigueur des banques, entre Paris et Dakar, où elle passe cinq ans à conseiller, structurer et analyser. Mais très vite, l’étroitesse du cadre réglementaire lui pèse. Là où ses pairs voient du risque, elle perçoit du potentiel. « Le conseil financier certes me plaisait, mais j’ai très vite été frustrée par la rigidité de la réglementation. J’ai donc fini par prendre le parti de me concentrer sur le potentiel de nos entreprises, là où, peut-être à juste titre, des professionnels de ce secteur voyaient le risque de miser sur les projets de beaucoup d’entrepreneurs, moi je songeais davantage à comment trouver un produit financier qui les soulagerait », confie-t-elle.
Frustrée par les limites imposées à son imagination, elle choisit de bifurquer vers le monde du développement, un territoire où elle pourra concevoir des mécanismes de financement adaptés aux réalités des entreprises locales. Son premier projet d’envergure, le Projet d’appui au renouvellement des camions de vidange (PARC), illustre parfaitement son approche. L’objectif ? Faciliter l’acquisition de nouveaux camions par les vidangeurs grâce à une solution de financement pensée spécifiquement pour eux.
Pour un marché financier inclusif
Là où d’autres voient un secteur peu structuré et donc difficile à financer, elle perçoit une opportunité d’améliorer un service essentiel à la salubrité publique, tout en permettant aux acteurs du secteur d’accéder à des équipements modernes. Grâce à une stratégie de financement bien rodée, elle parvient à lever 2 milliards de FCFA pour financer la phase pilote du projet, mettant en production 40 camions de vidange.
Forte de ce premier succès, elle ne s’arrête pas là. Elle élabore ensuite deux mécanismes de première perte, destinés d’une part à un fonds d’investissement à impact, et d’autre part à trois institutions de microfinance. Résultat : près de 1,5 milliard de FCFA mobilisés pour financer plus de 2 320 entreprises réparties sur l’ensemble des 14 régions du Sénégal.
Mais, fidèle à son tempérament ambitieux, elle voit encore plus loin. Convaincue que le marché financier recèle un immense potentiel pour soutenir les entrepreneurs africains, elle se tourne vers l’émission d’obligations. Elle témoigne : « Je voulais faire plus, et je savais que je pouvais le faire. C’est ainsi que l’idée de structurer une obligation m’est venue, inspirée par mon manager et mentor, Dieynaba Thiam Ka, qui avait travaillé sur le Dakar Municipal Bond. Je n’avais jamais vraiment pensé au marché financier, mais notre échange m’a rapidement donné l’envie d’initier ce type d’opération et surtout de générer des ressources en faveur de milliers d’entrepreneurs qui impacteraient à leur tour des ménages ».
Concevoir des mécanismes de financement sur mesure
L’idée germe et se précise : émettre une obligation qui porterait l’empreinte de sa vision. La naissance de ce projet est un concentré de volonté et de persévérance, marqué par 90 jours de doute et de recherche acharnée avant de trouver l’émetteur idéal, Baobab Sénégal.
D’abord baptisée « Women and Youth Self-Reliance Bond », inspiré par Dr Diatta, qui dans son discours au Forum Mondial de l’eau, avait parlé d’autonomisation des femmes et des jeunes, l’initiative évolue et prend une envergure encore plus large : Obligation Verte, Sociale et Durable. « Un changement qui répondait au besoin de refléter son caractère innovant et notre volonté de positionner le Sénégal comme pionnier dans l’émission d’obligations durables », explique-t-elle.
Le pari est réussi : 20 milliards de FCFA sont levés, mobilisant des acteurs majeurs tels que la Société Financière Internationale, ALCB, la BOAD et de nombreux investisseurs privés. À travers cette initiative, 5 000 MPME accèdent enfin au financement tant attendu, ouvrant un nouveau chapitre dans l’histoire de la finance inclusive au Sénégal. Non seulement une simple opération financière mais un signal fort envoyé aux marchés que les obligations peuvent être un outil puissant pour favoriser le développement économique inclusif.
Le moment de la consécration arrive avec la première cotation à la BRVM. Lorsque la cloche retentit, ce n’est pas seulement une opération financière qui s’accomplit, mais une conviction qui se réalise : « c’est qu’il est possible de designer des solutions locales pour catalyser l’accès des PMEs au financement dont elles ont besoin pour devenir des champions ».
Derrière ce parcours, un fil rouge demeure : celui d’une femme qui refuse les carcans et prouve, par l’action, que la finance peut être un puissant levier de transformation.