lundi, novembre 10, 2025

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Zeynil Abidine Ndongo, Économiste:« Le gouvernement opte pour une augmentation significative du taux de pression fiscale »

L’économiste, Zeynil Abidine Ndongo analyse le projet de Loi de finances initiale 2026. Pour lui, la forte hausse des recettes projetées en 2026 marque une inflexion déterminante de la politique fiscale du Sénégal. 

Quelle lecture globale faites-vous du projet de budget pour l’exercice 2026 ? 

Le projet de budget 2026 du Sénégal se présente comme un instrument de redressement et de transformation, mais il repose sur des hypothèses très optimistes dans un contexte économique fragile. Le gouvernement vise à réduire le déficit et à restaurer la crédibilité financière de l’État, tout en finançant des investissements massifs. Cependant, cette stratégie dépend largement d’une forte hausse des recettes fiscales, principalement via de nouvelles taxes touchant directement les ménages (mobile money, jeux de hasard, importations), ce qui pourrait aggraver la pression sociale et freiner la consommation.

La dette publique reste élevée et le service de la dette absorbe une part croissante du budget, limitant les marges de manœuvre. Par ailleurs, la maîtrise de la masse salariale et la rationalisation des dépenses publiques sont affichées comme priorités, mais leur faisabilité demeure incertaine au regard des contraintes politiques et sociales.

En réalité, ce budget apparaît davantage comme un budget de transition nécessaire mais risqué : il tente de corriger les déséquilibres tout en soutenant la croissance, mais son succès dépendra de la capacité du gouvernement à exécuter efficacement les réformes, à mobiliser des recettes sans étouffer l’économie réelle, et à maintenir la paix sociale dans un contexte d’attentes élevées de la population.

Les recettes sont projetées à plus de 6000 milliards. Comment analysez vous les évolutions de la politique fiscale ? 

La forte hausse des recettes projetées en 2026 marque une inflexion déterminante de la politique fiscale du Sénégal, motivée avant tout par l’urgence de restaurer l’équilibre budgétaire et de réduire la dépendance à l’endettement. Cette orientation traduit une volonté assumée de faire de la fiscalité le principal levier de souveraineté financière. Le gouvernement opte pour une augmentation significative du taux de pression fiscale, avec comme objectif de passer de 19,3 % à 23,2 % du PIB en une seule année, ce qui constitue un effort exceptionnel. Cette évolution s’appuie sur plusieurs axes : l’élargissement de l’assiette fiscale par la réduction des exonérations, la fiscalisation des secteurs auparavant peu ou mal capturés par l’impôt comme l’économie numérique et les transactions mobiles, et une taxation plus affirmée des produits importés et des activités jugées peu productives socialement, comme les jeux de hasard. 

Si cette stratégie peut être saluée pour son ambition de renforcer les ressources internes et de mieux maîtriser les flux économiques, elle comporte néanmoins des risques majeurs. En effet, en ciblant des secteurs populaires comme le mobile money, elle peut pénaliser directement les populations les plus vulnérables et provoquer un recul de l’inclusion financière. De même, la hausse des droits d’importation et des taxes sectorielles, bien qu’alignée sur une logique de souveraineté économique, risque d’accroître le coût de la vie et de freiner la compétitivité des entreprises locales. 

En réalité, cette politique fiscale apparaît moins comme un choix stratégique que comme une réponse contrainte à l’urgence budgétaire. Sa réussite dépendra de la capacité de l’administration à recouvrer effectivement ces nouvelles ressources, à maintenir la confiance des contribuables et à éviter que la pression fiscale excessive ne détourne l’activité économique vers l’informel. Ainsi, si l’ambition est de construire une fiscalité moderne, équitable et souveraine, la mise en œuvre devra être calibrée avec rigueur pour éviter qu’elle ne devienne un frein à la croissance et à la cohésion sociale.

Les besoins en financement sont de l’ordre de 6000  milliards Fcfa. Sera-t-il facile de les mobiliser dans ce contexte avec la baisse de la notation souveraine ? 

La baisse de la notation souveraine du pays complique sérieusement l’accès aux marchés financiers internationaux, en renchérissant le coût de l’emprunt et en réduisant l’intérêt des investisseurs, désormais plus prudents. Un État dont la signature financière est dégradée est perçu comme plus risqué : pour accepter de prêter, les créanciers exigent des taux d’intérêt plus élevés, des garanties supplémentaires, ou imposent des conditions plus strictes. 

Dans le cas du Sénégal, cette situation survient à un moment où les marges budgétaires sont déjà réduites et où le service de la dette absorbe une part croissante des ressources publiques.

La mobilisation de tels montants reposera donc davantage sur le marché régional, les emprunts concessionnels et les mécanismes innovants de financement (diaspora bonds, sukuk, financements verts). Toutefois, ces alternatives ne pourront compenser totalement la contraction de l’accès aux financements classiques. De plus, la concurrence est forte entre les pays de la région, tous confrontés aux mêmes tensions financières, ce qui peut réduire la capacité d’arbitrage favorable en faveur du Sénégal. La situation est d’autant plus délicate que les investisseurs évaluent non seulement la capacité de remboursement à court terme, mais aussi la crédibilité des réformes structurelles engagées pour stabiliser les finances publiques.

Ainsi, il est clair que la mobilisation des 6 188,8 milliards FCFA ne sera ni automatique ni aisée. Elle dépendra de la capacité du gouvernement à restaurer la confiance, à démontrer sa volonté réelle d’assainissement budgétaire, et à sécuriser des financements à des conditions soutenables. Sans cela, le risque est de s’endetter plus cher, de réduire les marges de manœuvre futures et de compromettre la trajectoire de consolidation annoncée. Autrement dit, l’enjeu n’est pas seulement de mobiliser les fonds, mais de le faire sans aggraver la vulnérabilité financière du pays.

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