La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), créée en 1975, devrait célébrer, le 28 mai 2025, ses cinquante (50) ans d’existence et de mission de coordination des actions des pays d’Afrique de l’Ouest. L’objectif principal visé par les pays membres est de renforcer la coopération entre ses États membres, dans la perspective de création d’une union économique et monétaire pouvant contribuer à relever le niveau de vie de ses populations à travers un développement accru de leurs échanges et de leur intégration dans les chaînes de valeurs mondiales. Pour atteindre ces ambitieux objectifs, des actions concrètes ont été initiées dont l’harmonisation des politiques dans les domaines monétaire, financier et commercial. La soixante-cinquième (65ème) session ordinaire de la Conférence des Chefs d’État et de Gouvernement, ainsi que bien d’autres précédentes, se sont appesanties sur ces performances marquées par un contexte économique mondial caractérisé par la persistance des tensions géopolitiques, les questions relatives à l’union économique et monétaire et, tout récemment, la situation avec l’Alliance des États du Sahel (AES), entre autres.
Une situation économique marquée par la persistance des tensions géopolitiques
Au regard des statistiques officielles, la croissance moyenne du PIB en Afrique de l’Ouest s’est ralentie, passant de 4,4 % en 2021 à 3,8 % en 2022. La décélération de la croissance est attribuable, entre autres, à des chocs successifs tels que la résurgence de la Covid-19 en Chine, le principal partenaire commercial de l’Afrique de l’Ouest, l’invasion de l’Ukraine par la Russie, qui a provoqué des pressions inflationnistes sur les prix nets des denrées alimentaires, des carburants et des engrais dans les pays importateurs. (ADB, Perspectives économiques, 2023).
Pour relever ces multiples défis, il est nécessaire de mener des politiques de croissance et de stabilité de la convergence macroéconomique. Il s’agit ici de politiques structurelles de transformation, visant à promouvoir la production, la création de valeurs et le développement des échanges en améliorant l’environnement des affaires dans le but d’accroître l’attrait des investissements directs et d’assurer la diversification de l’économie et des exportations, et faciliter la pénétration au marché régional des petites et moyennes entreprises ainsi que la création d’emplois décents surtout pour les jeunes et les femmes. Enfin, il faut mobiliser le financement privé en faveur de l’action climatique et de la croissance verte.
Des efforts en matière d’intégration demeurent très faibles
De toute évidence, les efforts de la Communauté entière, autant que chacun de ses membres en matière d’intégration, demeurent encore très faibles. L’Indice de l’intégration régionale en Afrique (IIRA) montre que la CEDEAO affiche un score moyen modéré de 0,425 sur 1. Les scores de la CEDEAO pour chacune des dimensions de l’indice, mesurant l’état de l’intégration régionale en Afrique de l’Ouest dans son ensemble, sont de 0,438 pour l’Intégration commerciale, 0,22 pour l’Intégration productive, 0,469 pour l’Intégration macroéconomique, 0,298 pour l’Intégration des infrastructures et 0,71 pour la libre circulation des personnes (CEA-CUA-BAfD, IIRA 2019).
Pour améliorer et accélérer l’intégration régionale en Afrique de l’Ouest, des mesures correctives urgentes s’imposent dans la mesure où ces dimensions de l’intégration sont interdépendantes et que le bon fonctionnement de certaines sous-tend le bon fonctionnement des autres dimensions. L’intensification des échanges commerciaux, par exemple, touchera d’autres dimensions, induisant une accélération du développement des capacités productives et des infrastructures pour faire face à la demande croissante.
Une union économique et une monnaie unique pleines d’incertitudes
La CEDEAO éprouve des difficultés dans la réalisation de l’intégration économique et surtout monétaire, malgré l’adoption, il y a plus de trente ans, du Programme de Coopération Monétaire de la CEDEAO (PCMC), en 1983. Considérant les décisions de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement de la CEDEAO, lors de sa 65ème session ordinaire, relative au Pacte de stabilité et de convergence macroéconomique et aux Programmes Pluriannuels de convergence (PPC), il ressort d’un constat, qu’en 2024, seul un État membre, à savoir le Cap-Vert, a rempli les quatre (4) critères de premier rang ;aucun État membre n’a respecté l’ensemble des six critères de convergence macroéconomique. Cela suscite de nombreuses interrogations quant aux efficiences attendues de l’intégration économique et monétaire, mais soulève aussi des inquiétudes quant à l’avenir de la zone monétaire de la CEDEAO en construction. Il faut rappeler que le lancement de la monnaie unique de la CEDEAO a fait l’objet de plusieurs reports auparavant (1998 ; 2001 ; 2003 ; 2005 ; 2009 ; 2015 ; 2020 ; 2027), et pour diverses raisons.
Fort du constat des difficultés multiformes et du souci de réussir la construction d’une union monétaire en Afrique de l’Ouest de la CEDEAO, il importe alors, d’adopter une vision communautaire concertée, plus précise, sur l’orientation de l’intégration monétaire dans la CEDEAO, tout en gardant la volonté de s’entourer de toutes les précautions nécessaires avant la création de la monnaie unique
La problématique de la cohabitation AES-CEDEAO
Au cœur de la région sahélienne, une nouvelle dynamique stratégique se dessine depuis le 16 septembre 2023, avec la création récente de l’Alliance des États du Sahel (AES), regroupant le Mali, le Burkina Faso et le Niger. La CEDEAO fait 5,12 millions de Km2 de superficie, avec la sortie des pays de l’AES (Mali+Burkina+Niger), elle risque de perdre plus de 50% de son espace vital et superficie gorgée de richesses minières de tout genre.
Deux schémas nous semblent possibles en matière de cohabitation entre AES et CEDEAO. Soit, les pays de l’AES poursuivent leur séparation avec la CEDEAO en annonçant la création future d’une monnaie commune entre ces trois États. De ce fait, ils devraient quitter le CFA, l’UEMOA et la CEDEAO avec toutes les implications que cela pourrait avoir dans les deux camps. Soit, les pays de l’AES continuent de rester dans la CEDEAO et de s’inscrire dans la dynamique de la création d’une union économique et d’une monnaie communes régionales. Le premier schéma serait, à mon avis, plus lourd de conséquences quand on connaît les efforts nécessaires pour la construction d’un ensemble économique sous-régional cohérent, avec la mise en place des institutions et des programmes d’harmonisation dans tous les domaines, surtout entre des économies structurellement différentes.
Le second schéma, même s’il me semble plus plausible, ne pourra aussi pas se faire sans concessions faites par chacun des deux camps. Du côté des pays de l’AES, il s’agira essentiellement de renoncer à toute idée de sortie ou non-adhésion aux projets et programmes de construction de l’union économique et monétaire de la CEDEAO. Du côté de la CEDEAO, il s’agira de consolider les acquis de la communauté et accepter, de manière concertée, d’entreprendre les réformes idoines urgentes relatives à la gestion des crises, à la dynamique du développement démographique, à l’emploi des jeunes et aux développements économique, social et environnemental de la région, parmi lesquels figure en bonne place la construction et la création de la monnaie unique de la CEDEAO.
Ce projet commun, soutenu par les réformes proposées, apparaît aujourd’hui, comme une alternative crédible pour consolider la stabilité et l’unité de la CEDEAO, mais aussi constitue un moyen pour faciliter la transition vers la future monnaie unique de la Communauté, l’ECO, et l’abandon des monnaies locales, à savoir le CFA et les autres monnaies nationales. Celle-ci serait émise par une banque centrale fédérale indépendante, suivant un régime de change fixe et ajustable et ancrée à un panier redéfini de devises internationales, considérant la nouvelle dynamique des échanges avec les principaux partenaires commerciaux de la Communauté. Il faut noter que les pays de la CEDEAO avaient déjà entériné la décision de créer une monnaie unique qui fonctionnerait suivant un régime de change flexible et un cadre de politique monétaire fondé sur le ciblage d’inflation.
Prof. Mohamed Ben Omar NDIAYE
Professeur Titulaire des universités, Agrégé en Économie, Chevalier dans l’Ordre National du Lion de la République du Sénégal, Directeur de l’Institut des Politiques Publiques (IPP), Université Cheikh Anta Diop (UCAD), Ancien Directeur Général de l’Agence Monétaire de l’Afrique de l’Ouest, CEDEAO