Abdoulaye LY, Economiste, ablydo@gmail.com

Depuis plus de trois ans, le Sénégal présente l’image d’une justice abîmée par ses élites qui ont semblé se détourner de tout respect des institutions et de l’État de droit.

Cette situation est le reflet d’emprisonnements abusifs d’opposants et surtout, de soupçons nourris de manipulations de juges par le pouvoir exécutif. Pendant une longue période, les arrestations  d’hommes politiques se sont limitées aux adversaires du parti dominant. À contrario, les amis du palais, malgré leurs malfaisances, sont restés très peu inquiétés. L’illustration la plus aboutie en est la liberté accordée à un député de la majorité s’étant livré au trafic de faux billets de banque, qui reste parmi les délits économiques des plus graves enregistrés au Sénégal. La Cour de répression contre l’enrichissement illicite aura finalement servi seulement à condamner le fils du président sortant oubliant volontairement d’examiner les dossiers des transhumants désormais inféodés au pouvoir. La crédibilité des décisions judiciaires a pâti de l’immixtion de l’ancien Président de la République qui a admis dans une émission télévisée de grande écoute avoir « mis son coude » sur certains dossiers.

La conjugaison de tous ces facteurs négatifs s’est traduite par une forte défiance de l’opinion notamment des jeunes vis-à-vis de la justice, donnant lieu à des destructions d’unités de production au lendemain de procès jugés partiaux.

En dépit de son profil de réformateur incontestable, le Chef de l’Etat sortant n’a pas su apporter des modifications significatives au fonctionnement de la justice, excepté l’institution d’un tribunal du commerce. Or, sur la base du contexte judiciaire, il aurait dû manifestement initier au moins l’institution d’un juge des libertés et une rationalisation du Conseil supérieur de la magistrature qui demeurent une exigence de la société civile et des cercles d’universitaires.

Dans une lecture économique, la réforme de la justice initiée par le nouveau pouvoir s’impose avec une acuité particulière, eu égard au pari des nouvelles autorités de faire du secteur privé le principal vecteur de la création de richesses et d’emplois. Cette exigence est renforcée par les perspectives d’exploitation des ressources pétrolières et gazières, qui posent le défi d’une gouvernance devant constituer un rempart contre l’insécurité inhérente à la production d’hydrocarbures. À cet égard, depuis les travaux de Douglas NORTH, Prix Nobel d’économie en 1993, il est admis que la qualité des institutions, incluant le respect de l’Etat de droit et ses corolaires, la séparation des pouvoirs, l’égalité des citoyens devant la Loi et l’indépendance de la justice constituent des facteurs conditionnels pour mobiliser les agents économiques en général et les investisseurs privés en particulier autour d’un idéal de progrès.

Dans une situation d’incertitudes liées à l’absence d’Etat de droit,  les agents économiques sont enclins à organiser des fuites de capitaux et même des mesures de désinvestissements préjudiciables à la production et à l’emploi. À titre d’illustration, depuis 2000, la bonne tendance des investissements privés au Sénégal a été contrariée à deux reprises pendant des périodes de fortes incertitudes sur la sécurité juridique. Il s’agit des années 2010-2011 quand le président Wade s’est vu accuser de préparer une « succession monarchique », donnant lieu à une contraction de 5,3% des investissements privés. En 2023, les investissements directs étrangers ont connu une baisse annuelle de 9,6%, selon la CNUCED. Ce recul avait pour principale cause la persistance de tensions liées à des décisions de justice discutables marquées par l’infiltration politique.

Pour toutes ces raisons, la tenue récente des assises de la justice serait de nature à bâtir une nouvelle architecture juridique adaptée aux aspirations de stabilité et de prévisibilité pour l’investissement. C’est par un réarmement de notre justice que nous pouvons espérer mobiliser les investisseurs, créer des emplois et construire un rempart aux incertitudes inhérentes à l’exploitation des hydrocarbures. En posant l’acte de refondation de la justice, nos autorités émettent un signal positif lourd de symboles, et manifestent ainsi leur volonté de fermer durablement l’épisode de contre-attractivité économique né du discrédit des institutions judiciaires.

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